Bonjour à toutes et tous !
Longue chronique scientifique pour aujourd’hui. N’hésitez pas à la copier pour la relire tranquillement, la critiquer, la diffuser.
Une des données fondamentales de la science est sa diffusion, son acceptation, son rejet, sa compréhension réelle par une large partie de la population. La presse scientifique généraliste joue donc un rôle important socialement, faisant le lien entre l’information très grand public réductrice, voir parfois à la limite de la stupidité, et la presse professionnelle, très difficile à déchiffrer.
Pour la lire depuis bientôt presque vingt-cinq ans, j’ai commencé au collège, la presse scientifique me paraît de plus en plus portée sur l’image, voir l’imagerie, au détriment du texte.
C’est à dire au détriment du savoir, supposée être son objectif…
Car il ne faut pas se tromper, une image, non un plan technique mais une illustration, contient strictement aucun savoir…
Dire le contraire est mensonger !!!
L’image est séduisante, attire l’œil. Un schéma explicatif peut aider à la compréhension d’un phénomène, à le visualiser.
Mais c’est tout, absolument tout !!!!
Je vous donne un exemple très simple. Une photo magnifique de Saturne sur deux pages, de plus en plus belle avec l’évolution technique des sondes spatiales, des télescopes, nous permet de savoir que la planète est ronde, que sa surface paraît gazeuse, et qu’elle est entourée d’un disque tout plat composé visiblement de plusieurs strates, le tout accompagné de deux trois minuscules satellites.
Et c’est tout.
Tout le savoir, sa taille, sa composition gazeuse, son orbite, les hypothèses de sa formation, la constitution de ses centaines d‘anneaux et la liste de ses satellites ne peuvent qu’être connu qu’à travers un texte !!! Une conférence, à la rigueur…
Je mets au défi quelqu’un de me démentir !!!
De même avec un planisphère, l’éclaté d’un avion, le schéma d’une cellule, etc… Ils ne sont rien sans savoir réel, sans compréhension intellectuelle longue à acquérir.
Le savoir, c’est le texte, la conversation. Ce ne sont pas les images, qui servent à bien d’autres choses qu’à instruire…
Pour résumer grossièrement, le texte c’est le savoir, l’image c’est la sensation immédiate.
Alors, dans notre monde de plus en plus envahi d’images, le mot n’est pas trop fort je crois, qu’en est-il du savoir scientifique ? Comment la presse peut continuer à remplir son rôle face à des gens de plus en plus incultes ?
Car la voilà la raison de cette chronique, l’inculture !
Une réflexion que j’ai lue, entendu à plusieurs reprises, m’a beaucoup frappé. Certes, l’accès au savoir se développe, dans des proportions parfois gigantesques. Donc, à priori, nous sommes de plus en plus cultivé…
Mais ce n’est qu’un aspect de ce raisonnement. Car la culture, le savoir, ce n’est pas ce que l’on peut acquérir dans une vie. C’est le ratio entre ce qu’il faut savoir pour être cultivé, et ce qu’il est possible d’assimiler…
Et ce ratio devient très défavorable !!!
Un gentihomme, une dame sachant lire du 17ème siècle, pouvait absorber la quasi connaissance de leur temps. Nombre de scientifiques excellaient dans divers domaines, dans l’agriculture, l’industrie naissante, la chimie comme les mathématiques.
Ils et elles pouvaient encore relier leurs savoirs entre eux… Et ils se contentaient du savoir occidental…
De nos jours, c’est impossible… Il y a infiniment trop de savoirs à acquérir, de ceux qui comptent. Trop de pays, de recherche, de statistiques, de livres, de sites internet, de rayonnages de bibliothèques…
Morcellé, le savoir assimilable par un humain devient une goutte d’eau dans un océan… Paradoxalement, malgré les apparences, nous sommes donc de plus en plus incultes, incapables d’une vision globalisante en ce monde globalisé…
L’image remplace-t-elle donc le savoir ? Au détriment de l’intelligence ?
Ce fantasme de régression est-il vraiment réel ? Quelle est exactement la nature de cette évolution, si évolution il y a !!!
Pour écrire cette chronique, je ne pouvais me contenter de vagues impressions…
Je vous propose donc de procéder le plus précisément possible à l’analyse de deux Science et Vie mensuel, l’un de 1985, l’autre de 2009, soit près d’un quart de siècle d’écart.
Puis de deux Hors séries, l’un de 1979 sur l’Energie, l’autre de 2009 sur les Robots.
Bien sûr, pour une véritable étude, il faudrait sans doute étudier des dizaines de numéros, ainsi que d’autres revues ! Mais je ne suis qu’un modeste auteur d’Anticipation, je ne travaille pas au CNRS !
Néanmoins, je crois que c’est très instructif tout de même…
Le choix de Science & Vie me paraît aussi pertinent, car c’est une revue datant du début du 20ème siècle, populaire. Mais les conclusions sont à mon avis à peu près applicables à Science & Avenir, voir La recherche.
Voici donc les résultats de cette double analyse, à travers deux tableaux. J’ai pu bien sûr commettre quelques erreurs minimes de comptabilité, mais qui ne devrait pas influencer sur les grandes tendances.
Je voudrais également préciser que cette étude critique ne vise en rien la rédaction de Science & Vie, qui doit s’adapter aux lecteurs, et vendre pour ne pas disparaître… D’ailleurs il ne s’agit pas de juger de la qualité, l’objectivité ou l’indépendance des articles, mais d’analyser le rapport structurel entre l’image et l’écrit.
PREMIER TABLEAU
CONCLUSIONS
Les chiffres sont spectaculaires ! La revue a perdu plus de 50 % de mots, au profil de l’image, notamment pleine page…
Cela s’explique par trois faits. Tout d’abord la réduction du nombre de pages. Ensuite, la publicité qui passe d’une dizaine de pages à une trentaine,prenant une place considérable.
Enfin, la mise en page est bien différente. La revue de 1985 est très linéaire, privilégiant les longues colonnes de texte, alors que celle de 2009 est complètement éclatée, même si le nombre total de photos est similaire. Simplement, leur taille augmente, ainsi que le nombre de photos pleine page.
Surtout, les articles, les dossiers sont fragmentés en morceaux, le texte principal étant complété par nombres d’encadrés, de colonnes d’interview, des références de sites internet à consulter, etc… Il devient impossible de lire un article dans sa continuité ! L’œil est sans cesse sollicité par les couleurs des pavés de textes, les photos détourées, les schémas !
En résumé, le Science & Vie de 1985 est fait pour être lu, celui de 2009 pour être parcouru…
La différence de forme est évidente. Les chiffres appuient le sentiment immédiat lorsqu’on a les deux revues en main.
Bien sûr, le plus récent est bien plus attrayant graphiquement, l’évolution de forme permet d’attirer et de conserver un public jeune, attiré par l’image.
Visiblement, la rédaction a très peur que le jeune lectorat n’abandonne la revue s’il y a deux colonnes complètes de texte à la suite ! C’est très frappant. Et en dit long sur la grande difficulté pour nombres de gens aujourd’hui à se concentrer sur une simple tache qu’est la lecture… Hors c’est pourtant cette faculté de concentration qui nous permet d’acquérir réellement, de comprendre un raisonnement scientifique ou philosophique…
Il n’y a là rien de véritablement critiquable, car l’inculture scientifique ne serait qu’augmentée si les revues de vulgarisation disparaissaient, faute de renouvellement du lectorat !
Néanmoins, si l’on prend en compte que l’image ne contient en elle-même très peu de savoir, que la revue a perdu plus de 50 % de mots en 25 ans, le constat est tout de même angoissant…
Jusqu’où va nous conduire une société, une Humanité qui ne vit le monde qu’à travers l’image, qui n’est plus capable de lire six pages de texte de suite ? La raréfaction encore plus accentué du savoir, de la pensée nous attend-t-elle ?
Ne soyons pas trop pessimistes malgré tout, car il faut aller au-delà des chiffres brutes. En réalité, d’après ce que moi j’en perçois comme lecteur régulier, la revue à fait évoluer sa ligne éditoriale, et ce n’est pas forcément une évolution si négative !
Science & Vie n’est plus l’accumulation du savoir, c’est une arborescence de savoirs.
Par des dossiers multiformes, ses références à nombre de sites internet où aller chercher plus de détails et d’informations, ses critiques de livres bien mis en valeur, la revue nous dit une chose, Soyez curieux, ne vous contentez pas de nous lire, allez voir ailleurs !
Malgré tout, Science & Vie contient bel et bien 50 % de mots en moins…
SECOND TABLEAU
Il est intéressant aussi d’examiner les Hors série. Portant sur des sujets précis, l’on peut s’attendre à un développement maximal, à des analyses plus poussées que dans des articles du tout venant des mensuels…
CONCLUSIONS
Je dois dire que j’ai été assez surpris des résultats ! Je pensais que les Hors série de Science & Vie avaient suivi la même évolution que les mensuels. Mais il n’en est rien, et c’est tant mieux. La rédaction a visiblement fait le choix de longs dossiers. Certes la tendance est la même, mais très atténuée. Il y a plus d’images, notamment pleine page, mais le nombre de mots est presque conservé, avec tout aussi peu de publicité. De part leur thème attractif, les Hors-séries je suppose se vendent bien, et nécessiteraient donc moins de revenus publicitaires…
CONCLUSION GÉNÉRALE
Ma petite enquête chiffrée, même parfois approximative, confirme globalement les sensations de lecteur de la presse scientifique.
La revue mensuelle au fil des années devient plus une compilation d’informations, une arborescence de savoirs, au détriment d’un vrai savoir, qui nécessite de longs dossiers et beaucoup de mots ! Cette évolution reste préoccupante, car elle indique une capacité moindre du lectorat à assimiler du savoir réel, à se concentrer… Mais en même temps, elle tente de provoquer sa curiosité, elle tient compte aussi du temps disponible à la lecture, par rapport aux autres sources d’informations.
Les Hors-séries, eux, parviennent à conserver leur rôle, diffuser un savoir plus complexe, plus approfondi.
Les revues de vulgarisation scientifique mensuelles dans quelques années ne seront peut-être plus qu’une revue relai, entre mille sources d’informations…
Merci de m’avoir lu, et à très bientôt ! J’attends vos avis et critiques…
Bien à vous.
Gulzar Joby