Bonsoir à toutes et tous.
Je poursuis donc sur le principe de documentation pour un auteur de SF. Pour la littérature en général aussi !
Refuser de se documenter, attitude fréquente que je le constate autour de moi parmi nombre d'auteurs que je fréquente ou dont je lis des interviews, signifie plusieurs choses.
Tout d'abord, la croyance qu'écrire consiste à s'exprimer personnellement, à révéler son âme, à pénétrer les tréfonds du comportement humain. Qu'il y a un(e) auteur, ses souvenirs, sa sensibilité, et une page blanche. C'est donc un refus du monde, une écriture de l'ordre du soulagement, un pure délire intimiste.
L'acte même d'écrire est pour de tel(le)s auteurs une échappée, un moment magique, une pause dans leur vie sociale.
La littérature, c'est écrire, et rien d'autre.
Se documenter revient à soumettre son écriture à la réalité physique, à nier qu'il existe autre chose que l'individu seul.
Par exemple, l'individu dans un milieu social, technique, moral, géographique, climatique, etc...
Ensuite, la documentation fait peur, fait perdre du peu de temps disponible pour écrire, pris sur la vie de famille, le travail.
La documentation, c'est fastidieux, c'est pénible à lire. Il faut acheter des livres pas drôles, aller au magasin de photocopies relier des centaines de pages, fouiner sur internet durant des heures chaque semaine.
La documentation, c'est de l'effort.
Et surtout, c'est de l'effort dont l'on ne peut se vanter, sous peine de passer pour un besogneux, qui ne possède pas de sensibilité, qui a besoin d'une béquille pour écrire...
Il existe des livres magnifiques écrits avec une telle méthode, c'est incontestable. Raconter sa vie, prendre son existence comme base d'un roman, d'une oeuvre posséde sa logique. Pensons à Colette, Sagan, le récit d'Ann Franck. Et tant d'autres.
Il ya aussi l'écriture de journaux intimes, qui pour les meilleurs finissent d'ailleurs par incorporer l'actualité, l'Histoire !
Mais pour moi, qui veut devenir écrivain, qui veut en faire mon métier, une telle attitude de retrait par rapport au monde est littéralement impossible.
Est-ce le genre Anticipation qui veut cela ?
Est-ce par manque d'imagination de ma part ?
Je ne pense pas !
Se documenter, c'est prendre à bras le corps le monde entier.
C'est accepter que nous ne sommes pas si libre que cela, que nous dépendons des autres, qu'un être humain, un être vivant plus généralement, un personnage n'existe pas en dehors de son lieu
et mode de vie.
Que réinventer le monde consiste à le connaître, même uniquement de façon livresque !
Et puis, au-delà de considérations purement littéraires sur la fabrication d'une histoire, il y a une réalité tangible.
Cela s'appelle "la qualité".
Il est impossible d'écrire une nouvelle sur "le temps" par exemple sans rien connaître des principaux romans qui lui sont consacrés, des principes techniques de sa mesure depuis des millénaires, des différents calendriers connus dans l'Histoire, de la relativité, de l'évolution du temps de travail, etc...
Vraiment, se documenter, c'est ne pas se contenter de soi-même ! C'est se contenter d'autrui ! Vaste programme, certes !
Je crois aussi profondément qu'une solide documentation, même restreinte en quantité, nous sort de notre temps présent, du flux qui nous emporte. Se documenter exige de réfléchir sur les documents, de les choisir parmi la masse incroyable disponible, de les trier.
Se documenter, c'est se coltiner le passé, alors qu'on écrit du futur possible...
C'est voir se dissoudre la frontière rassurante entre passé, présent et futur...
Se documenter, c'est devenir intelligent, cultivé, refuser les évidences.
Alors qu'écrire doit rester le domaine de l'instinct, du délire, du plaisir !
Mon métier d'écrivain consiste donc à mêlerdans un texte ses deux aspects, culture et divertissement !
Car autant les lecteurs de Jules Verne "ne savait pas grand chose" du vaste monde, l'école de Jules Ferry ne faisait que commencer, et avaient donc besoin de toute l'information contenue dans son oeuvre, autant les lecteurs d'aujourd'hui "croient tout savoir" !!
Alors que...
Je crois qu'un(e) auteur de SF d'aujourd'hui doit aider à travers la fiction non pas forcément à augmenter le volume de savoir, mais à le mettre en ordre. A lui donner une forme humaine...
Un auteur peut-être conjugue les deux aspects que je viens d'évoquer, Aleksandr Soljenitsyne, qui a écrit d'après sa propre vie, mais à aussi emporté dans ses livres essentiels des centaines d'autres vies, qu'il a incorporé au récit.
Il faut lire cet auteur, même un seul de ses livres.
Mais là, nous sommes au-delà de la simple carrière d'auteur de SF...
La prochaine fois, je vous parlerai de ma vision de la construction du récit, à partir de l'image du tissu.
Vous verrez, c'est compréhensible !
à bientôt !
Gulzar