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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 15:22

Bonjour à toutes et à tous.

Jolie découverte aujourd’hui à la bibliothèque, Pills, récit SF en un unique volume portant sur l’usage de drogues quelque peu particulières, publiée chez KSTR fin 2010, maison d’édition remarquable par son souci de publier de la bd réellement contemporaine !

 

pills couv


Les deux auteurs, Antoine Ozanam pour le scénario et Guillaume Singelin pour les dessins et couleurs, ont je trouve réussi une œuvre sinon frontalement originale du moins d’une grande cohérence, aux influences très bien maîtrisées. De la bd SF française comme on aimerait en lire plus…

Petit résumé… Une étudiante en journalisme de Paris prend pour sujet les nouvelles drogues autorisées par le gouvernement. L’expression faire planer n’est plus là un vain mot. Ces drogues provoquent des effets tant sur l’usager que l’entourage (!), dédoublement du corps, passage à travers les murs, envol dans le ciel, etc…
Se retrouvant en banlieue après avoir absorbé du Diamond dogs, elle se fait de nouveaux amis et se retrouve en possession d’une toute nouvelle drogue pas encore sur le marché. Elle rentre alors en possession d’un autre corps que le sien et assiste à un assassinat. Traquée par l’assassin, elle parviendra à survivre…

 

PILLS planche 1
À mon sens, Pills, ou donc pilules en français, repose sur deux principes fondamentaux.
 
Tout d’abord l’opposition entre le réalisme social (lieux, langage parlé, rapports sociaux et amoureux) et drogues de pur invention, aux pouvoirs surréalistes. Pills mêle vie de quartier populaire et la SF à la "Passe-muraille" de Marcel Aymé. Le merveilleux, même provoqué par des drogues inquiétantes, et l’industrie pharmaceutique de pointe fusionnent dans un récit au trait léger.

Car évidemment, le dessin constitue l’autre grand plaisir de l’album ! Alors il est clair qu’il faut aimer ce trait de plume qui paraît primitif, mal fait diront certains, et qui fait désormais partie du paysage de la bande dessinées depuis quelques années, à côté de la ligne claire et du trait plus pictural, comme peuvent le pratiquer Bilal ou Gimenez par exemple.
À mon sens, il exprime l’incertitude, la fragilité de la vie. Nous ne sommes jamais vraiment en sécurité lorsque nous lisons un récit dessiné ainsi. C’est aussi la recherche d’un retour à la gravure, au trait de plume des caricaturistes du 19ème siècle ! Du moins je le ressens comme cela…

 
La couleur aussi mérite un compliment. Sans être un spécialiste, il me semble bien qu’’elle a été faite à l’ordinateur, avec grand soin. Pills comporte une caractéristique que je retrouve assez souvent désormais en bande-dessinée contemporaine. La pénombre est une vraie pénombre... Parfois, il m’est arrivé de me lever et d’aller examiner des cases à la fenêtre, tant la couleur est sombre, que l’on distingue à peine les personnages ! C’est radical, un peu frustrant bien sûr. Mais l’on ressent véritablement le jour, la nuit, les cages d’escaliers, les rues plus ou moins mal éclairées.
Cet effet ne renforce donc pas la facilité de lecture ! Plus incontestablement pour moi, la sensation diurne/nocturne, et non du clair/obscur classique, amène vraiment quelque chose de particulier au récit, où l’ombre n’a plus la même importance pour définir le personnage, qui là se trouve soit noyé dans la lumière, soit noyé dans la pénombre, mais qui n’a finalement pas une lumière bien à lui. 

 

pills planche 2
Mais véritablement, ce qui frappe dans cette bande dessinée, c’est la pertinence sociale du sujet. N’oublions pas que la population de France est la plus forte consommatrice de drogues médicamenteuses sur la planète, autorisées par le pouvoirs médicaux, étatiques et économiques… Pills tire pour moi sa légitimité scénaristique de cette réalité effrayante, entremêlée avec la discrimination sociale et géographique entre riche centre-villes et banlieues populaires délaissées.


Et le constat est cinglant.
La jeune étudiante parisienne en journalisme, gosse de riches, n’atterrira en banlieue que pour avoir ingurgiter de la drogue Diamond Dogs qui  fait planer jusqu’en banlieue, où les habitants ont pris l’habitude de voir débarquer en pleine nuit tous ces drogués… Sinon, jamais elle n’aurait été en banlieue, comme l’ont dit, n‘aurait jamais rencontré leurs habitants de son âge…
La banlieue populaire comme lieu d’atterrissage exotique de la jeunesse de l’oligarchie au pouvoir, la métaphore est très forte !

La seconde caractéristique fondamentale de ce récit de SF découle directement du sujet même, les pilules ingurgitées par la jeune population…
Car évidemment, la SF ici n’a aucune consistance physique, hormis des pilules minuscules en sachet, aussi anonyme que de banales médicaments..! Pas de vaisseaux spatiaux, de véhicules futuristes, de mégalopoles, de technologies incroyables de toutes sortes ; pas de cauchemars robotisés, de dictatures féroces ! Rien d’autre socialement et visuellement que la France d’aujourd’hui…
Le décalage SF ne provient donc que des effets des drogues autorisées et de rien d‘autre. Pills se concentre exclusivement sur son sujet, sans quincaillerie SF mal comprise, inutile. C’est là aussi à mon avis où réside la grande qualité de cette bande dessinée ! La maîtrise des auteurs, leur refus de donner une apparence SF à leur récit, mais d’en faire véritablement !
Pills se rapprocherait là d’un autre album Les derniers jours d’un immortel, récemment parue également, un pur chef d’œuvre de Fabien Vehlmann au scénario et Gwenn de Bonneva au dessin, même si l’histoire est bien plus lointaine dans le temps et d‘une autre nature.

Les personnages de Pills, de jeunes gens autour d'une vingtaine d'années, m’ont aussi intrigué. L’écriture de chaque personnalité n’est pas forcément très poussée, ils forment plus un ensemble humain, aux individus toujours en interaction.
Surtout, l’on sent à quel point ils sont prisonniers de leur condition, tant sociale que sexuelle. Les rapports entre filles et garçons ont du mal à se faire dans l’harmonie par exemple…
La drogue, voilà la seule chose qui parvient à leur faire échapper à leur propre corps, leur enferment dans un rôle social, un sexe qu’ils n’ont évidemment pas choisi et qui leur pèse.

 

pills planche 3

 La beauté et la justesse des personnages de Pills réside donc non dans leur révolte, inexistante, mais dans leur refus de la société où ils vivent par le seul usage de drogues autorisées, même pas interdites… Leur conscience sociale existe belle et bien, mais ne débouche sur rien. Sinon s’échapper à tout prix, s’envoler dans les cieux, où tout est plus calme, où la paix et l’amour peuvent enfin exister. Où surtout leurs individualités se fondent dans le groupe.


En ce sens, ces personnages en disent long sur la nature de notre société. Ces jeunes gens ont compris que l’individualisme les perdrait. Ils cherchent donc à travers la drogue à être réunis, et non pas détruits ou isolés.

Il n’y a donc dans Pills aucun message pour ou contre les drogues, ce n’est pas le sujet, mais bien plus un usage assez inédit, communautaire, dans le plaisir et la jubilation.

C’est assez délicat à dire, mais les drogues amènent du plaisir aux usagers, avant éventuellement de leur nuire… Une réalité sur laquelle est justement basée Pills et qui explique la légalisation de telles drogues par le pouvoir. Puisque la population ne peut avoir une vie satisfaisante dans la société réelle, autant lui donner la possibilité d’y avoir accès par un tiers moyen dans un monde virtuelle, les drogues en l’occurrence, afin d’éviter toute révolte sociale structurée politiquement. 

Pills prédit donc une évidence, déjà en cours de réalisation par le hachich, la pornographie, le football, la cocaïne, les antidépresseurs, etc... La charité du futur se fera non seulement par la soupe populaire, mais aussi par la drogue populaire…

A la fin nous attend une petite pirouette scénaristique à la dernière page, que je n’ai pas comprise à la première lecture ! J’ai dû alors retourner en arrière, vérifier un détail judicieusement disposé dans le récit à plusieurs reprises… Cette pirouette ultime fera encore plus craindre les drogues du futur aux lectrices et lecteurs de Pills !

Inévitablement, au-delà des différences de tons, de pays et de dessin, Pills m’a fait penser à un manga récent, Ultra Heaven de Keiichi Koike, en cours d’édition en France chez Glénat, en grand format. Œuvre magistrale, d’une toute autre ampleur graphique et narrative que Pills, qui porte là aussi sur l’usage de drogues mais où le graphisme parvient à exprimer un niveau de délire insensé, ainsi que plusieurs niveaux de lecture impossibles à distinguer ! Une fois le quatrième et dernier volume publié, sans doute en 2011 je l’espère, je vous en ferai une chronique enthousiaste et illustrée !

Mais l’essentiel n’a pas été à mon sens pour Ozanam et Singelin de chercher à concurrencer Keiichi Koike, ce qu’ils n’ont d’ailleurs pas fait. L’essentiel était d’inscrire leur récit SF dans la France d’aujourd’hui, qui peine véritablement à s’imaginer un futur quelconque, véritablement drogué par un passé mythifié de quatrième puissance mondiale colonisatrice, effrayée par un monde qu‘elle a elle-même créé…

Pills est une formidable bande dessinée de SF, une introspection de la France d‘aujourd‘hui et de demain. À lire et à faire lire autour de soi !
Gulzar


ANNEXES


Pour en savoir plus sur l’album
kstrblog.blogspot.com/
www.sceneario.com/bd_14912_pills.html
planetebd.com/bande-dessinee/casterman/pills
coinbd.com/bd/albums/resume/12608/pills/pills.html
facebook.com/pages/Antoine-Ozanam

 


Chronique extraite de 36, quai du Futur
A Scanner darkly,
film dont le thème central est l’usage de drogues…



A Scanner darkly
de Richard Linklater, de 2006, dvd chez Warner.

Première précision, je n'ai pas lu encore "Substance mort" dont est tiré le film ! J'ai lu pas mal de nouvelles et 4, 5 romans de Dick, mais pas encore celui-là...
Impossible donc pour moi de comparer livre et film, mais je connais tout de même l'univers de cet auteur, furieusement loin de tout Space Opéra, ce que j'apprécie particulièrement.

Bon. autant vous le dire tout de suite, le héros, policier à la brigade des stups luttant contre la drogue M, est joué par Keanu Reeves...
Non que ce soit un mauvais acteur, mais on a l'impression qu'il est dans tous les films SF à grand spectacle !

Sauf que pour une fois, A Scanner darkly n'est pas un film à grand spectacle. Il faut être très attentif, très concentré pour le savourer.
L'histoire est assez simple dans son principe, mais assez vertigineux dans son traitement graphique. Un agent des stups se surveille lui-même, car ami de trafiquants minables, et est manipuler par son supérieur dont il ne connaît pas l'identité, mais que nous connaîtrons à la fin. Chaque agent des stups porte une tenue qui les rend impossible de les identifier...

Et le grand intérêt de ce film, son idée centrale, est que l'image pellicule est peinte. Nous avons donc une peinture animée, chaque plan, chaque décor, chaque personnage étant redessiné à grands traits noirs, d'aplats de couleurs. C'est en quelque sorte la même méthode que pour les personnages du premier TRON, mais réalisé plus finement à l'ordinateur, et non à la main par des centaines de dessinateurs !

Le résultat n'est pas forcément et immédiatemment séduisant. L'on perd un peu le jeu des acteurs. Mais très vite, le sens de ce travail apparaît sur les tenues furtives des agents des stups. En effet, loin de tous effets numériques, le dessin permet de faire changer le visage, les vêtements toutes les secondes ! C'est assez fascinant comme perte de repères, on retrouve là l'univers trouble de Dick !

La forme visuelle du film permet donc de ne pas trop perdre de la littérature. Et c'est appréciable ! L'on ne se retrouve pas avec un film sur la drogue, vaguement SF avec deux trois gadgets... Mais avec un film étrange, proche de notre univers, mais "autre" tout de même. Œuvre intéressante donc. Qui arrive à assumer le fait qu'un film, ou un livre, doit séduire, mais que vu le fond de l'histoire pessimiste, cynique, l'oeuvre ne peut être purement dans la séduction, mais aussi dans la révulsion. Ce qui n'a rien d'évident !
Lovercraft est dans la révulsion, King nettement plus dans la séduction par exemple. C'est vraiment sensible.

Et le fait de cacher, de repousser l'humain derrière une peinture, un masque, est vraiment angoissant. Le côté BD au bout du compte ne rend pas le film "sympa", mais "vilain"...

A scanner darkly, un vilain film pour une vilaine histoire. Comme Shelby ou K.Dick savent en écrire...
Gulzar


DIVERS SITES SUR LES DROGUES

la-drogue-dans-l-art.e-monsite.com/
lemangeurdopium.canalblog.com/
www.drogues.gouv.fr/
french.alibaba.com/products/pharmaceutical-drugs.html
mensongepsy.com/fr/?cat=746
pharmacie.univ-paris5.fr/pharmacognosie/musee.htm
rue89.com/droguesnews/politique-fiction-2018

Drogues auditives !

vice.typepad.com/vice_france/2008/06/londres---drogu.html
www.article11.info/spip/Avec-l-idose-la-drogue-fait-sa

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