Second Discours
Histoire et Théorie de la Terre
" Dans des sujets d’une vaste étendue dont les rapports sont difficiles à rapprocher, où les faits sont inconnus en partie, & pour le reste incertains, il est plus aisé d’imaginer un système que de donner une théorie ; aussi la théorie de la Terre n’a-t-elle jamais été traitée que d’une manière vague & hypothétique. Je ne parlerai donc que légèrement des idées singulières de quelques Auteurs qui ont écrit sur cette matière.
L’un plus ingénieux que raisonnable, Astronome convaincu du système de Newton, envisageant tous les événements possibles du cours & de la direction des astres, explique, à l’aide d’un calcul mathématique, par la queue d’une comète, tous les changements qui sont arrivés au globe terrestre. Un autre, Théologien hétérodoxe, la tête échauffée de visions poétiques, croit avoir vu créer l’univers ; osant prendre le style prophétique, après nous avoir dit ce qu’était la terre au sortir du néant, ce que le déluge y a changé, ce qu’elle a été & ce qu’elle est, il nous prédit ce qu’elle sera, même après la destruction du genre humain.
Un troisième, à la vérité meilleur observateur que les deux premiers, mais tout aussi peu réglé dans ses idées, explique par un abîme immense d’un liquide contenu dans les entrailles du globe, les principaux phénomènes de la terre, laquelle, selon lui, n’est qu’une croûte superficielle & fort mince qui sert d’enveloppe au fluide qu’elle renferme.
Toutes ces hypothèses faites au hasard, & qui ne portent que sur des fondements ruineux, n’ont point éclairci les idées & ont confondu les faits, on a mêlé la fable à la Physique ; aussi ces systèmes n’ont été reçus que de ceux qui reçoivent tout aveuglément, incapables qu’ils sont de distinguer les nuances du vrai-semblable, & plus flattés du merveilleux que frappés du vrai.
Ce que nous avons à dire au sujet de la terre sera sans doute moins extraordinaire, & pourra paraître commun en comparaison des grands systèmes dont nous venons de parler ; mais on doit se souvenir qu’un Historien est fait pour décrire & non pour inventer, qu’il ne doit se permettre aucune supposition, & qu’il ne peut faire usage de son imagination que pour combiner les observations, généraliser les faits, & en former un ensemble qui présente à l’esprit un ordre méthodique d’idées claires & de rapports suivis & vraisemblables ; je dis vraisemblables, car il ne faut pas espérer qu’on puisse donner des démonstrations exactes sur cette matière, elles n’ont lieu que dans les sciences mathématiques, & nos connaissances en Physique & en Histoire Naturelle dépendent de l’expérience & se bornent à des inductions. "