Suite des écrits de Buffon. Cette fois, nous rentrons dans le détail, avec "De la formation des planètes".
Encore une fois, ces écrits si l'on n'y prend garde peuvent apparaître comme naïfs, mais ils ne les ont pas du tout ! Car si vous examinez nos connaissances actuelles, si l'on va au-delà du phrasé, du vocabulaire de l'époque, l'on est très proche des théories d'aujourd'hui, que nous considérons comme des "certitudes", et qui feront peut-être aussi sourire dans trois siècles...
En fait, c'est le témoignage d'une fantastique évolution scientifique, le passage des idées loufoques, des "impressions philosophiques", à un rationalisme qui se cherche, qui commence à avoir ses premiers outils technologiques.
Les passages sont parfois assez longs, mais je veux que vous puissiez vraiment vous plonger à chaque fois dans un moment de réflexion. Quelques lignes n'y suffisent pas.
Alors découvrez avec plaisir aujourd'hui d'où viennent les planètes !
De la formation des Planètes
" ...Newton trouva que la force qui fait tomber les graves sur la surface de la terre, s’étend jusqu’à la lune & la retient dans son orbite ; que cette force diminue en même proportion que le quarré de la distance augmente, que par conséquent la lune est attirée par la terre, que la terre & toutes les planètes sont attirées par le soleil, & qu’en général tous les corps qui décrivent autour d’un centre ou d’un foyer des aires proportionnelles aux temps, sont attirés vers ce point. Cette force, que nous connaissons sous le nom de pesanteur, est donc généralement répandue dans toute la matière ; les planètes, les comètes, le soleil, la terre, tout est sujet à ses lois, & elle sert de fondement à l’harmonie de l’Univers ; nous n’avons rien de mieux prouvé en Physique que l’existence actuelle & individuelle de cette force dans les planètes, dans le soleil, dans la terre & dans toute la matière que nous touchons ou que nous apercevons.
Toutes les observations ont confirmé l’effet actuel de cette force, & le calcul en a déterminé la quantité & les rapports ; l’exactitude des Géomètres & la vigilance des Astronomes atteignent à peine à la précision de cette mécanique céleste, & à la régularité de ses effets.
Cette cause générale étant connue, on en déduirait aisément les phénomènes si l’action des forces qui les produisent, n’étoit pas trop combinée ; mais qu’on se représente un moment le système du monde sous ce point de vûe, & on sentira quel chaos on a eu à débrouiller.
Les planètes principales sont attirées par le soleil, le soleil est attiré par les planètes, les satellites sont aussi attirés par leurs planètes principales, chaque planète est attirée par toutes les autres, & elle les attire aussi ; toutes ces actions & réactions varient suivant les masses & les distances, elles produisent des inégalités, des irrégularités ; comment combiner & évaluer une si grande quantité de rapports ? Paraît-il possible au milieu de tant d’objets, de suivre un objet particulier ?
Cependant on a surmonté ces difficultés, le calcul a confirmé ce que la raison avait soupçonné ; chaque observation est devenue une nouvelle démonstration, & l’ordre systématique de l’Univers est à découvert aux yeux de tous ceux qui savent reconnaître la vérité.
Une seule chose arrête, & est en effet indépendante de cette théorie, c’est la force d’impulsion ; l’on voit évidemment que celle d’attraction tirant toujours les planètes vers le soleil, elles tomberaient en ligne perpendiculaire sur cet astre, si elles n’en étaient éloignées par une autre force, qui ne peut être qu’une impulsion en ligne droite, dont l’effet s’exerceroit dans la tangente de l’orbite, si la force d’attraction cessait un instant.
Cette force d’impulsion a certainement été communiquée aux astres en général par la main de Dieu, lorsqu’elle donna le branle à l’Univers ; mais comme on doit, autant qu’on peut, en Physique s’abstenir d’avoir recours aux causes qui sont hors de la Nature, il me paraît que dans le système solaire on peut rendre raison de cette force d’impulsion d’une manière assez vrai-semblable, & qu’on peut en trouver une cause dont l’effet s’accorde avec les règles de la Mécanique, & qui d’ailleurs ne s’éloigne pas des idées qu’on doit avoir au sujet des changements & des révolutions qui peuvent & doivent arriver dans l’Univers.
La vaste étendue du système solaire, ou, ce qui revient au même, la sphère de 1’attraction du soleil ne se borne pas à l’orbe des planètes, même les plus éloignées, mais elle s’étend à une distance indéfinie, toujours en décroissant, dans la même raison que le carré de la distance augmente ; il est démontré que les comètes qui se perdent a nos yeux dans la profondeur du ciel, obéissent à cette force, & que leur mouvement, comme celui des planètes, dépend de l’attraction du soleil. Tous ces astres dont les routes sont si différentes, décrivent autour du soleil, des aires proportionnelles aux temps, les planètes dans des ellipses plus ou moins approchantes d’un cercle, & les comètes dans des ellipses fort allongées. Les comètes & les planètes se meuvent donc en vertu de deux forces, l’une d’attraction & l’autre d’impulsion, qui agissant à la fois & à tout instant, les obligent à décrire ces courbes ; mais il faut remarquer que les comètes parcourent le système solaire dans toute sorte de directions, & que les inclinaisons des plans de leurs orbites sont fort différentes entr’elles, en sorte que quoique sujettes, comme les planètes, à la même force d’attraction, les comètes n’ont rien de commun dans leur mouvement d’impulsion, elles paroissent à cet égard absolument indépendantes les unes des autres. Les planètes, au contraire, tournent toutes dans le même sens autour du soleil, & presque dans le même plan, n’y ayant que sept degrés & demi d’inclinaison entre les plans les plus éloignés de leurs orbites : cette conformité de position & de direction dans le mouvement des planètes, suppose nécessairement quelque chose de commun dans leur mouvement d’impulsion, & doit faire soupçonner qu’il leur a été communiqué par une seule & même cause.
Ne peut-on pas imaginer avec quelque sorte de vraisemblance, qu’une comète tombant sur la surface du soleil, aura déplacé cet astre, & qu’elle en aura séparé quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouvement d’impulsion dans le même sens & par un même choc, en sorte que les planètes auroient autrefois appartenu au corps du soleil, & qu’elles en auraient été détachées par une force impulsive commune à toutes, qu’elles conservent encore aujourd’hui ?
Cela me paraît au moins aussi probable que l’opinion de M. Leibnitz qui prétend que les planètes &. la terre ont été des soleils, & je crois que son système, dont on trouvera le précis à l’article cinquième, aurait acquis un grand degré de généralité & un peu plus de probabilité, s’il se fût élevé à cette idée. C’est ici le cas de croire avec lui que la chose arriva dans le temps que Moïse dit que Dieu sépara la lumière des ténébres ; car, selon Leibnitz, la lumière fut séparée des ténébres lorsque les planètes s’éteignirent. Mais ici la séparation est physique & réelle, puisque la matière opaque qui compose les corps des planètes, fut réellement séparée de la matière lumineuse qui compose le soleil.
Cette idée sur la cause du mouvement d’impulsion des planètes paraîtra moins hasardée lorsqu’on rassemblera toutes les analogies qui y ont rapport, & qu’on voudra se donner la peine d’en estimer les probabilités, La première est cette direction commune de leur mouvement d’impulsion, qui fait que les six planètes vont toutes d’occident en orient ; il y a déja à parier contre un qu’elles n’auraient pas eu ce mouvement dans le même sens, si la même cause ne l’avoit pas produit, ce qu’il est aisé de prouver par la doctrine des hasards.
...
On peut donc conclure avec une très grande vraisemblance que les planètes ont reçu leur mouvement d’impulsion par un seul coup. Cette probabilité, qui équivaut presque à une certitude, étant acquise, je cherche quel corps en mouvement a pû faire ce choc & produire cet effet, & je ne vois que les comètes capables de communiquer un aussi grand mouvement à d’aussi vastes corps. "