Aujourd'hui, étape importante dans la pensée scientifique, nous aborderons la différence entre le "pourquoi" et le "comment"...
HISTOIRE NATURELLE.
HISTOIRE DES ANIMAUX.
CHAPITRE II.
De la Reproduction en général.
" Arrêtons-nous un peu sur ces idées de progrès et de développement à l’infini, d’où nous viennent-elles ? que nous représentent-elles ? l’idée de l’infini ne peut venir que de l’idée du fini, c’est ici un infini de succession, un infini géométrique, chaque individu est une unité, plusieurs individus font un nombre fini, et l’espèce est le nombre infini ; ainsi de la même façon que l’on peut démontrer que l’infini géométrique n’existe point, on s’assurera que le progrès ou le développement à l’infini n’existe point non plus ; que ce n’est qu’une idée d’abstraction, un retranchement à l’idée du fini, auquel on ôte les limites qui doivent nécessairement terminer toute grandeur*, et que par conséquent on doit rejeter de la Philosophie toute opinion qui conduit nécessairement à l’idée de l’existence actuelle de l’infini géométrique ou arithmétique.
Il faut donc que les partisans de cette opinion se réduisent à dire que leur infini de succession et de multiplication n’est en effet qu’un nombre indéterminable ou indéfini, un nombre plus grand qu’aucun nombre dont nous puissions avoir une idée, mais qui n’est point infini, et cela étant entendu, il faut qu’ils nous disent que la première graine ou une graine quelconque, d’un orme, par exemple, qui ne pèse pas un grain, contient en effet et réellement toutes les parties organiques qui doivent former cet orme, et tous les autres arbres de cette espèce qui paraîtront à jamais sur la surface de la terre ; mais par cette réponse que nous expliquent-ils ? n’est-ce pas couper le nœud au lieu de le délier, éluder la question quand il faut la résoudre ?
Lorsque nous demandons comment on peut concevoir que se fait la reproduction des êtres, et qu’on nous répond que dans le premier être cette reproduction était toute faite, c’est non seulement avouer qu’on ignore comment elle se fait, mais encore renoncer à la volonté de le concevoir.
On demande comment un être produit son semblable, on répond c’est qu’il était tout produit ; peut-on recevoir cette solution ? car qu’il n’y ait qu’une génération de l’un à l’autre, ou qu’il y en ait un million, la chose est égale, la même difficulté reste, et bien loin de la résoudre, en l’éloignant on y joint une nouvelle obscurité par la supposition qu’on est obligé de faire du nombre indéfini de germes tous contenus dans un seul.
J’avoue qu’il est ici plus aisé de détruire que d’établir, et que la question de la reproduction est peut-être de nature à ne pouvoir jamais être pleinement résolue, mais dans ce cas on doit chercher si elle est telle en effet, et pourquoi nous devons la juger de cette nature ; en nous conduisant bien dans cet examen, nous en découvrirons tout ce qu’on peut en sçavoir, ou tout au moins nous reconnaîtrons nettement pourquoi nous devons l’ignorer.
Il y a des questions de deux espèces, les unes qui tiennent aux causes premières, les autres qui n’ont pour objet que les effets particuliers : par exemple, si l’on demande pourquoi la matière est impénétrable, on ne répondra pas, ou bien on répondra par la question même, en disant, la matière est impénétrable par la raison qu’elle est impénétrable, et il en sera de même de toutes les qualités générales de la matière, pourquoi est-elle étendue, pesante, persistante dans son état de mouvement ou de repos ? on ne pourra jamais répondre que par la question même, elle est telle, parce qu’en effet elle est telle, et nous ne serons pas étonnés que l’on ne puisse pas répondre autrement, si nous y faisons attention ; car nous sentirons bien que pour donner la raison d’une chose, il faut avoir un sujet différent de la chose, duquel sujet on puisse tirer cette raison : or toutes les fois qu’on nous demandera la raison d’une cause générale, c’est-à-dire, d’une qualité qui appartient généralement à tout, dès lors nous n’avons point de sujet à qui elle n’appartienne point, par conséquent rien qui puisse nous fournir une raison, et dès-lors il est démontré qu’il est inutile de la chercher, puisqu’on irait par là contre la supposition, qui est que la qualité est générale, et qu’elle appartient à tout. "
...
" Il y a encore une autre espèce de question qu’on pourrait appeller question de fait, par exemple, pourquoi y a-t-il des arbres ? pourquoi y a-t-il des chiens ? pourquoi y a-t-il des puces ? etc. toutes ces questions de fait sont insolubles, car ceux qui croient y répondre par des causes finales, ne font pas attention qu’ils prennent l’effet pour la cause ; le rapport que ces choses ont avec nous n’influant point du tout sur leur origine, la convenance morale ne peut jamais devenir une raison physique.
Aussi faut-il distinguer avec soin les questions où l’on emploie le pourquoi, de celles où l’on doit employer le comment, et encore de celles où l’on ne doit employer que le combien.
Le pourquoi est toujours relatif à la cause de l’effet ou au fait même, le comment est relatif à la façon dont arrive l’effet, et le combien n’a de rapport qu’à la mesure de cet effet. "