Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 août 2010 5 06 /08 /août /2010 07:06

feu-de-dieu-bordage

Bonjour à toutes et tous !

Petit compte-rendu aujourd’hui de la remise des prix du concours de nouvelles 2084, avec l’école d’ingénieurs ENSTA et Science & Avenir.
J’ai bien fait de m’y rendre, j’ai obtenu le second prix, une carte d’entrée gratuite à la Cité des Sciences..!
Les textes primés, dont Sissoko, Monsieur Poulet, mon propre texte, seront lisibles très prochainement sur le site de Science & Avenir. Allez-y, certaines nouvelles me paraissent alléchantes…
Un recueil sera aussi édité par l’ENSTA à la rentrée scolaire. Je vous tiendrai au courant.

Mais plus que la satisfaction de croiser d’intéressants scientifiques, Pierre Bordage et Céline Curiol, auteur que je ne connaissais pas, ou les encouragements prodigués, j’ai envie d’aborder le débat de plus d’une heure du jury, qui précéda la traditionnelle remise des prix.

Les discussions donc m’ont ouvert des perspectives, permit de comprendre que certaines de mes nouvelles écrites en 2007, 2008, sont certes honorables mais pas ultimes dans leur réflexion…

La question a été posé au Jury. Comment envisage-t-il 2084 ?
Tout d’abord, le langage était la préoccupation de toutes et tous. Au-delà même du simple souci de bien écrire, les mots veulent dire quelque chose. Impossible bien sûr d’envisager un langage neutre, utopique, même dans la recherche scientifique, où pourtant le langage est très précis, descriptif…

Le mot ressources humaines par exemple, dont a parlé Céline Curiol, devient habituel, normal, repris par les journalistes,   par les entreprises. Mais il fige l’humain au niveau du minerai, du tronc d’arbre, de toutes ces choses disponibles à souhait dans la Nature… Le mot ancien je le rappelle était, en France tout du moins, Directeur du Personnel. Ce qui impose l’idée de hiérarchie, mais également de personnes. Le personnel est composé d’êtres humains, pas d’une ressource à exploiter.
Le mot ressources humaines est donc à la réflexion terrifiant… Violent. Et parfaitement pensé pour déshumaniser les rapports sociaux au sein des l’entité Entreprise.

Un exemple moins pénible que je viens de lire dans un livre consacré aux trous noirs, eh oui il faut bien se cultiver, me paraît très éclairant, sur le langage scientifique cette fois. Wheeler a été le premier chercheur a nommer trou noir les phénomènes d’écroulement des étoiles sur elles-mêmes victime de leur propre masse, même si le concept date historiquement du 17ème siècle, et découle plus concrètement des équations d’Einstein ! Le mot usité jusqu’à lors était Singularité de Schwarzschild, étoile figée ou étoile effrondrée.
Ce chercheur a passé de longues semaines, des mois a trouver le mot juste… Pour que son article fasse mouche au-delà de son intérêt et de sa justesse scientifique, qu’un mot parvienne à résumer au mieux son idée, fasse son chemin dans les esprits.
Puits noir aurait été correct. Ne dit-on pas un puits sans fond, définition idéal du trou noir ? Mais le mot puits ramène à la campagne, à l’activité humaine. Un puits n’est pas naturel, il lui faut une margelle, une corde, un seau… Alors que le mot trou représente le vide, le néant, l’absence… Noir exprimant bien sûr l’absence de lumière.
Et voilà pourquoi grâce au soin apporté par Wheeler au vocabulaire, vous pouvez acheter le dvd Le Trou Noir, film SF sympathique produit par Walt Disney !

Les scientifiques présents ont expliqué également leurs difficultés, en tout cas la pénibilité de parvenir à se faire comprendre dans la nuance du grand public, et des décideurs tant économiques que politiques. Le Oui ou Non est peu usité, voir peu crédible en Science, ou la nuance, le doute, est constant, et normale. Même si bien sûr la technoscience est capable de trancher, de former des concepts qui entre dans la réalité physique et bouleverse l’ordre établi. Mais uniquement grâce, et pour la satisfaction des décideurs qui seuls ont le pouvoir économique et/ou décisionnaire…
Par exemple, Pierre-Henri Gouyon a fait la différence entre les mots prévisions et scénarios. Utile nuance de termes, qui expriment deux états de la recherche en général.
Une prévision, au sens de la prévision météorologique, n’est pas une certitude, mais une perspective dans le temps qui semble très probable, qui est basée sur des équations, des calculs, des statistiques, des outils prévisionnels fiables. Par exemple, l’on sait prévoir le temps à court terme, une trajectoire de planète ou de satellite, la forme et les caractéristiques de nouvelles molécules fabriquées en laboratoire, avec donc une intention de départ à satisfaire.
Par contre, pour le climat, le mot scénarios sera plus juste. Certes, la prévision est l’augmentation non pas tant de la température que du désordre climatique en de nombreux points du globe. Mais concrètement, personne n’est capable de prévoir ce qui va se passer d‘ici cent ou deux cent ans…
L’augmentation de la masse nuageuse, qui accompagne le surplus d’orages, de tempêtes, va-t-elle contribuer à faire baisser la température, puisque les nuages renvoient une partie importante du rayonnement solaire dans l’espace ? Mais en sens contraire, la diminution de la surface des glaces des pôles, des glaciers diminue d’autant le renvoi des rayons du soleil dans l’espace…
Les mesures anti-production de carbone seront-elles assez puissantes, assez respectées pour être efficaces ? Et dans quelle mesure ?
Le permafrost qui se situe en Sibérie va-t-il libérer en masse la forte proportion de méthane qu‘il contient, gaz à effet de serre encore bien plus redoutable que le CO2 ? Les techniques existantes d’implantation de végétation fixant le permafrost en train de dégeler, si elles sont employées, suffiront-elles à éviter ce qui peut être considéré comme un accélérateur formidable du réchauffement climatique ? Les océans délivreront-ils aussi le méthane qu’ils contiennent ?

Autant de questions sans réponses actuellement, qui obligent les climatologues à scénariser, à produire des fictions possibles de l’avenir comme travaux. Scénarios bien utiles pour alerter, donner des solutions possibles, mais qui ne constituent en aucun cas des prévisions.
La nuance de vocabulaire est donc effectivement d’importance…

La discussion a porté également sur le parallèle assez vertigineux je dois dire, entre les multinationales, les groupes d’intérêt économique surpuissants créés par l’idéologie et le comportement libéral, et le mode de développement des espèces nommée sélection naturelle.
Les corps multicellulaires, qui sont d’ailleurs en nombre inférieur sur Terre aux unicellulaires ne l’oublions pas, ont donc réussi à maîtriser chacune de leurs cellules, à leur faire faire une activité précise. Et s’il en était, s’il en devenait de même avec ces entités transnationales que sont ces multinationales ? Si elles étaient non pas uniquement en lutte entre elles, mais aussi avec l’Etat Nation, les Cultes religieux, des populations entières pour les asservir à un projet dépassant le cadre des individus ?

Il ne s’agit pas ici de dénoncer une forme de dictature classique, au sens romain ou fasciste du terme, avec un dictateur qui décide de toute chose, d‘un pouvoir centralisé. Il s’agit bien au contraire de prendre conscience que ces entités n’ont pas de direction. Les PDG ne sont que des employés, les actionnaires n’étant plus familiaux mais composés de millions d’individus isolés, de fond de pension qui eux-mêmes défendent les intérêts d’inactifs au détriment des actifs.
Pierre-Henri Gouyon nous a exposé un paradoxe extrêmement parlant.
Si j’achète des sicav, mon banquier voudra par le jeu de la concurrence, c’est-à-dire de la sélection naturelle entre banques, le produit le plus rentable pour moi et la banque pour laquelle il travaille. Il se trouve que ces sicav contiennent des actions de l’entreprise où je travaille. Alors mon banquier, à travers des objectifs à atteindre imposés à mon entreprise, me fera licencier. Je serai au chômage, dans la précarité, mais j’aurai des sicav plus rentables…

Résister consisterait donc à sortit de ce méta-système. Est-ce possible ?

L’on voit bien là la profonde différence du libéralisme avec d‘autres formes de pouvoirs plus ancestraux. La lutte intense entre des entités sociales, comme les Cultes, les États qui rassemblent au lieu de sélectionner, n‘est pas nouvelle. Certes, elles se combattent entre eux, mais en leur sein, à moins d’être hérétique, vous ne risquez rien, vous êtes protégés.
Les chiffres aussi ont leur importance. Il existe disons mille cultes en sur Terre, trois cents millions d’entreprises peut-être, voir plus…. Chacun se bat l’une contre l’autre.

Le seul souci, c’est que cette idéologie libérale empruntée à La Nature est très performante… la Sélection Naturelle et un principe très puissant, très efficace, tout comme la gravité… L’idéologie s’inspirant d’elle a changé le monde plus que toute autre idéologie, vaincu le communisme, édifié des mondes inimaginables en s’alliant, en utilisant la technoscience.
Le libéralisme ne cherche pas la stabilité, elle réclame de l’instabilité, sait s’y adapter, comme dans la Nature… Tout est bon semble-t-il à son développement, à son renforcement.

J’ai repensé alors à ce fameux procès qui s’est déroulé au 19ème siècle aux USA, et qui se prolonge encore aujourd’hui, entre les partisans de Darwin et ceux de la vision biblique de la création du monde, et surtout des êtres vivants.
Alors pour des gens sensés, rationnels, ou à peu près !, nous soutenons les travaux de Darwin, même si bien sûr la Science avance, les scénarios possibles de l’évolution de la Vie divergent parfois. La Théorie de la Sélection Naturelle s’impose globalement à nous comme crédible, véridique. Et leurs opposants religieux nous paraissent rétrogrades, à brandir leur Bible, un tas de sottises au point de vue de l‘Histoire biologique et géologique.
Certes.
Mais revenons à ce procès. L’un de leurs arguments de l’époque, dont nous ne nous souvenons pas, ou que nous ignorons, était la crainte, voir la terreur, de voir ces thèses scientifiques contaminer la société. Ces religieux étaient la plupart du temps agriculteurs, vivants dans les villages, les petites villes, prônant un mode de vie conservateur, une maîtrise des pulsions notamment sexuelles par le mariage, la solidarité, l’absence de compétition. Pour eux, Darwin représentait l’arme idéologique absolue entre leurs adversaires citadins, une justification à leur soif sans fin de pouvoir, d’argent, de sexe, de territoire.
Que le meilleure gagne, que le perdant crève.
Même si ces croyants avaient eux-mêmes contribuer à exterminer les Indiens d‘Amérique…

Force est de reconnaître que leurs peurs sont devenus nos angoissantes réalités. Cette fois-ci à l’échelle des nations entières…
Par quel cauchemar des dirigeants de pays affaiblis économiquement consacrent ou ont consacré l’essentiel de leur agriculture pour l’exportation, rendant l’indépendance alimentaire traditionnelle impossible ?
Ce combat, ne nous y trompons, se déroule aussi chez nous…  Certains rêvent de nous voir acheter intégralement notre nourriture dans des pays à la main d’œuvre moins onéreuse, comme pour les téléviseurs ou les casseroles en inox…
Certains pays européens ne sont déjà plus en autosuffisance depuis quelques années…

Les Cultes voudraient nous voir contrôler nos pulsions, de quelque manière que ce soit.
Les Etats nations souhaitent nous voir respecter des lois, des règles, sous peine de prison.
Le libéralisme nous dit tout le contraire. Fais ce que tu veux, éclate-toi ! Tu veux acheter une tondeuse, tu veux de la pornographie, des meubles en tek, du saumon tous les dimanches, tu peux.
Comment renoncer à un mode de vie qui fonctionne, qui propose dans la vraie réalité des possibilités jamais vues ? Chacun espère en profiter, ce qui est par essence même impossible, puisque cette idéologie prône l’élimination, la mort de tout ce qui ne satisfait pas à ses règles, de tous celles et ceux qui ne la serve plus…
Le libéralisme est-il d’ailleurs qu’un mot, qu’une idéologie, ou bien une pulsion de satisfaction qui court depuis des dizaines de milliers d’années ? Avoir moins froid avec du feu, manger de la viande cuite…

De plus, chose fascinante que rappellait Roland Lehoucq, l’individu, est amené à demander lui-même sa soumission, sa domination à des lois sociales qui lui deviennent nuisibles, qui le contrôlent, qui l‘orientent, qui le trient, le classent, le rejettent ou l‘acceptent.
Autant il la refusera, luttera contre si elle est violente, aligner les gens contre un mur et les fusiller, autant si elle lui offre la sécurité, il l’acceptera. Si la domination, est sous forme de services, il sera même prêt à payer pour obtenir sa propre aliénation. Et ça fonctionne !
Le temps des régimes totalitaires militarisés peut avoir vécu… Le contrôle de l’individu est présent sous forme informatique, factures, suivi du portable par GPS, etc…

Petite réflexion personnelle qui m’est venu avec le temps, l’observation de mes semblables. L’une des astuces consiste à vendre aux particuliers un usage professionnel, qui devrait le rester pour véritablement libérer l’individu, et non l’asservir.
Le téléphone portable satellitaire ou par réseau est bien utile pour les médecins, les professions ou l’urgence de la communication prime. Mais l’immense majorité des conversations n’ont strictement aucune utilité d’aucune sorte, aucune urgence à être tenues…L’on nous impose la vie d’autrui dans les trains, des gens parlent tout seul dans la rue, comme les fous du village d’antan… Combien de fois j’ai du abréger des conversations avec des gens que j’allais rencontrer trois heures plus tard, tout en passant pour un malpoli ?
 
Autre phénomène, les systèmes de localisation en voiture nous évitent désormais d’avoir à baisser la vitre pour demander son chemin à un autre humain.
Cela n’a l’air de rien, c’est pourtant vertigineux ce refus de considérer autrui sans plus d’intérêt, voir même ressenti comme une menace. C’est vrai, l’on pourrait demander son chemin à un dangereux criminel…
J’ai moi-même des membres de ma famille qui ont ce genre de système dans leurs voitures.
Ils en sont contents…

Travaillant bien sûr tous ces thèmes pour mes textes, la conversation m’a beaucoup intéressé. Certes nous sommes une espèce animal, c’est évident. Nous sommes bien contraint de nous conformer à cette nature, parfois agressive. Pourtant, nous rêvons d’y échapper, ou certains en rêvent pour nous…
Et paradoxalement, toute tentative par la civilisation d’en sortir produit des monstruosités, se révèle instrument de pouvoir, d’asservissement…
Quid de la détection de la délinquance à venir chez les enfants de trois ans ?

En conclusion, nous ne sommes pas sortis de l’auberge…

Pour finir cette chronique, Pierre Bordage, lui est revenu sur l’activité du romancier de SF, d’Anticipation, et en a donné les limites ! Cette littérature est la seule, je rajouterai avec le polar tout de même, à vraiment parler de notre temps, à évoquer l’humain pas seulement comme individu, mais comme composante d’une société humaine, qui comprend et travaille  l’influence de la science, des techniques sur nos vies.
Pas question pour une écrivaine, un écrivain de SF d’être un devin, de tripatouiller les abats de volaille ou les cartes pour deviner l’avenir. Car l’avenir est imprévisible. Un astéroïde tueur changera le destin de la Terre plus encore que l‘activité humaine, soyons-en sûrs…
Il s’agit pour Pierre Bordage d’exprimer les angoisses, les préoccupations du moment, de les projeter dans l’avenir. C’est effectivement indispensable, puisque écrire du futur signifie aussi être lu au présent.

Voilà, c’était un compte-rendu des discussions des Juré(e)s du concours de nouvelles 2084 ! J’espère ne pas avoir trop trahi leurs pensées…

Et maintenant les derniers ouvrages des mêmes Juré(e)s, que vous pouvez vous procurer dans toute bonne librairie !


Pierre Bordage, écrivain

feu-de-dieu-bordage

Pierre-Henri Gouyon, biologiste

ph gouyon origines-sexualite

Hervé le Treut, climatologue

letreut effet-de-serre

Roland Lehoucq, astrophysicien

livre roland lehoucq

Céline Curiol, écrivaine

celine curiol couv permission

À bientôt, avec de nouvelles chroniques. Je vous proposerai celle de Permission, récent livre de Céline Curiol, une fois finie sa lecture, ainsi que l'ouvrage de Roland Lehoucq, SF, la science mène l'enquête !
Gulzar

Partager cet article
Repost0

commentaires