Bonjour à toutes et à tous.
J’ai acheté dernièrement un numéro de Science & Vie comprenant un dvd documentaire, ayant pour thème l’évolution de la vie animale et végétale, à défaut d’humaine, dans la zone interdite autour du réacteur accidenté de Tchernobyl. J’ai fini par prendre le temps de le visionner, ne sachant trop à quoi m’attendre…
Tchernobyl, une histoire naturelle ?
Une énigme radiologique
De Luc Riolon, 2010
Production Arte France, Camera Lucida, CNRS image
Supplément Science & Vie
Il convient tout de même d’évaluer le film d’environ 1h 30 selon plusieurs points de vue, pour vous en faire une chronique pertinente.
D’un point de vue cinématographique
Le documentaire oscille entre plusieurs formes, mais l’on sent clairement qu’il s’agit d’un film de commande avec un certain budget qui se voudrait uniquement scientifique, pas d’un travail artistique, sensible, partisan, radical, qui adopte un point de vue, et le défend.
Certes, quelques plans sont vraiment impressionnants. La ville de Pripiat d’abord, totalement envahie par la forêt qui reprend ses droits. Seuls émergent encore quelques rues entretenues, les immeubles, les bâtiments officiels, la fête foraine au milieu d’une végétation totalement redevenue sauvage. Le film comprend aussi quelques images fugaces de la catastrophe, mais bien trop courts, trop insignifiants pour nous faire ressentir ou comprendre quoi que ce soit.
Pire, l’on retrouve quelques images que je qualifie d’images divertissantes, même pas illustratives. On les retrouve fréquemment dans les pires documentaires anglo-saxons, de la BBC par exemple, inutiles et parfois répétés 1, 2 3, 4 fois… Tels des zooms brutaux, des accélérés de circulation automobiles ou d’avancée de nuages ou de la nuit, des travelling sans intérêts, des morceaux d’interviews de moins de dix secondes, des images de synthèse trop parfaites destinées à nous montrer l’infiniment petit ou grand, etc…
Un flot de fariboles visuelles censées émoustiller le grand public, et qui ne font que remplir un vide sidéral des propos ou allonger le documentaire à bon compte…
Tchernobyl, une histoire naturelle ? Une énigme radiologique reste encore sobre à ce sujet. Mais on n’échappe pas aux plans de sol forestier ou d’animaux qui s’illuminent, effet numérique censé nous illustrer la radioactivité ! Le premier documentariste un tant soit peu sérieux s’abstiendrait de tels effets à grand spectacle, d‘une grande naïveté... Car puisque la radioactivité est invisible, il ne faut pas la montrer par un effet risible, mais la faire ressentir par l‘image, par les témoignages humains. Ce qui est parfois le cas dans le documentaire, il faut le reconnaître, heureusement.
Quelques plans fait à la grue sont intéressants, mais bien trop courts pour être cinématographiquement utiles.
Ceci dit, même si le montage est trop rapide à mon goût, les interviews trop courtes, l’ensemble est correctement monté, pas désagréable à regarder. Mais pas à la hauteur d’un travail de documentariste de cinéma. Il y a un monde entre un travail artistique, de recherche formelle qui seule est capable de saisir le spectateur, et une réalisation banale, qui n‘a pas de point de vue sensible…
D’un point de vue de la population
Sentimentalement, moralement, pour qui connaît tant soit peu la réalité humaine de la catastrophe, deux grands absents rendent à certains moments ce film pour moi proprement scabreux, provoque son rejet…
Tout d’abord, les anciens habitants et les stalkers, ou liquidateurs, du site sont quasi absents du film. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont morts juste après l’explosion du réacteur ou bien après de cancer et de leucémies en grand nombre, ont eu des enfants difformes.
Aucune trace d’eux dans le documentaire. Jamais ils n’ont la parole. Ils ont disparu de l‘image, comme ils ont disparu de la zone évacué… En un sens, on ressent fortement leur absence !
Enlever tout références aux morts humains, n’en garder qu’une trace indirecte par les images de la ville abandonnée peut se justifier intellectuellement d’après le thème du film. Effectivement, on ne peut tout raconter en 1h 30...
Moralement, c’est insoutenable au visionnage, du moins pour moi…
Surtout que l’on sent à plusieurs reprise la joie intense et malsaine de certains scientifiques de disposer d’un tel matériel biologique à étudier, faune et flore. Tant mieux finalement que tous ces morts. Grâce à eux, la Science va pouvoir progresser !
Le documentaire à cet égard est édifiant sur la mentalité scientifique. Tout est exploitable, pourvu que cela fasse accroître les connaissances… jusqu’au pire…
Dans un sens, le film est très instructif pour le citoyen.
L’autre absent, total cette fois-ci, du documentaire est bien entendu la Biélorussie, le voisin de l’Ukraine.
Car en réalité, le pays le plus touché ne fut ni l’Ukraine, ni la Russie, mais ce pays oublié, victime d’une dictature très dure, toujours en place. Environ un tiers du pays a été fortement touché par les pluies radioactives. Tchernobyl n’était qu’à quelques dizaines de kilomètres de la frontière… La population a des taux de cancers, de leucémie et de malformations très élevés, bien plus que n’importe où dans le monde.
Cet oubli est gênant, très gênant je trouve. Certes, les premières victimes furent ukrainiennes et russes, certes la zone radioactive sujet du film est bel et bien en Ukraine, mais ne rien dire de ce pays dans un documentaire sur Tchernobyl participe du silence atroce entourant ce pays.
Ces deux lourdes absences ne font que renforcer, à mon sens, l’aspect pro domo nucléaire civil, sur le lieu même de sa faillite complète, vu les institutions productrices du film.
D’un point de vue du vocabulaire
Un commentaire de la voix off féminine m’a aussi particulièrement choqué.
De mémoire, je résume la phrase, mais le mot squelette est juste. Les squelettes des arbres morts reposent toujours au milieu de la nouvelle forêt de bouleaux, arbres qui résistent mieux à la radioactivité que les pins originels de la région. Employer le mot squelette à la place de troncs pour des arbres est sans doute destiné à nous faire ressentir toute l’horreur de la mort d’une forêt entière en quelques mois.
Mais un arbre n’est pas un être humain. Employer à tort ce mot squelette revient à ravaler l’humain au même niveau de phénomène biologique qu’un arbre. On pourra longtemps en discuter…
Ce mot mal placé reflète vraiment le ton général du film, qui offre une indifférence constante aux humains victimes de la catastrophe, d’ailleurs évitable, de Tchernobyl.
Le titre aussi est édifiant, quasi mensonger !
Tchernobyl, une histoire naturelle ? Une énigme radiologique.
Jamais le film ne parle de politique énergétique, jamais il n’évoque la religiosité et le culte du secret soviétique vis-à-vis du nucléaire, symbole de la réussite du socialisme triomphant.
Tchernobyl n’a pas de responsables, de coupables, de héros, de lâches, de jeunes hommes et femmes ayant sacrifié leurs vies pour en sauver d‘autres. Dont les nôtres.
Tchernobyl, à regarder littéralement le documentaire, n’est donc qu’un phénomène physique naturel passionnant à étudier.
Le mot histoire naturelle renvoie à Buffon, à l’Histoire des Sciences, à l’étude de la Nature, et non à l’étude d’une catastrophe provoquée par l’être humain !
Employer le mot naturel dans le titre d’un documentaire sur une catastrophe technologique autant qu’idéologique me paraît être déjà un premier mensonge, une tentative désagréable d’influencer le spectateur… Les mots ont leur importance !
Une énigme radiologique me paraît par contre une expression plus neutre, reflétant plus justement le thème intéressant du documentaire.
Soyons réaliste. Etait-ce vraiment possible que le milieu scientifique et industriel se critique par un documentaire commandité qu’il aura lui-même financé ? C’est sans doute trop demandé humainement. La critique réelle et argumentée ne peut réellement venir des institutions !
D’un point de vue scientifique
J’ai souhaité finir ma longue chronique, guère aimable je le concède, parce qu’il me semble, heureusement d’ailleurs, que c’est là le point le moins contestable du film !
Peut-on véritablement reprocher de prendre comme sujet d’un documentaire l’étude de la vie animale et végétale sauvage après une irradiation sans précédente ? C’est impossible. Le sujet est d’importance. Tant pour la Science pure que pour la compréhension de l’ADN et ARN animal et végétal.
En effet, il est frappant de constater dans l’Histoire des Sciences que l’on étudie et comprend souvent la normalité par des cas anormaux. C’est un grand classique de la Recherche, tant en médecine qu’en génétique, voir dans d’autres domaines.
Se passer de cette observation est donc ridicule et non souhaitable. La région de Tchernobyl et Pripiat est un cas unique, à étudier. Les scientifiques déplorent d’ailleurs le manque cruel de moyens pour étudier la zone entière, entretenir les clôtures censées empêcher les animaux de la franchir.
Le sujet du film n’est donc pas à remettre en cause de mon point de vue. La connaissance ne peut se laisse vaincre par l’ignorance…
À condition que cette recherche serve l’Humanité… Hors la seule application évoquée par une chercheuse est la possibilité d’irradier à faible dose sur une longue durée la population pour l’aider à supporter la chimiothérapie… On croit rêver, la radioactivité artificielle est donc une bénédiction, comme le verre quotidien de bon vin rouge !
En revanche pas un mot sur la possibilité de se servir de ces études sur la flore et la faune de Tchernobyl pour aider les humains victimes de la catastrophe ! Encore une fois, ils sont totalement absents du documentaire… C’est tout de même extrêmement génant, voir insupportable.
Mais qu’en est-il de la vie exactement, un quart de siècle après la catastrophe, dans la zone d’exclusion autour du réacteur, désormais enfermé dans un sarcophage ? Je ne l’ai pas encore évoquée dans ma chronique !
Et bien, apparemment, tout va bien ! Il n’y a pas de plantes anormales, pas de malformations chez les animaux, hormis les oiseaux. Mieux, la zone est devenue en quelque sorte une réserve naturelle, où reviennent habiter des espèces rares, tel une race de chevaux sauvage quasi éteinte, des ours, des loups, qui ne sont plus chassés ou importunés par les activités humaines, telles l’industrie, l’agriculture, la chasse, etc...
Les souris des champs, pourtant porteuses dans leurs corps de très fort taux de radiations, se portent même comme un charme !
Seuls donc les oiseaux souffrent largement de malformation, de taux de reproduction très bas et peuplent faiblement la zone. Certaies espèces ont même disparues. La catastrophe de 1986 et sa forte radioactivité n’ont pas été surmonté par les volatiles.
Dans un premier temps, dans les semaines, les mois qui ont suivi la catastrophe en 1986, la mortalité végétale et animale a été effrayante, quasi complète, sans rémission. La zone est devenue un désert biologique, c’est tout de même précisé dans le documentaire… Avant petit à petit de retrouver sa vitalité, puis de devenir un refuge pour la faune de la région, à l’abri dans une vaste zone déserté par les humains.
Alors certes, le niveau global de radioactivité baisse… Mais ne peut expliquer ce foissonnement de vie.
L’explication à ce phénomène a été trouvé, semble-t-il. Elle provient de la flore à la base. Ce qui est logique, puisque les herbivores se nourrissent de flore avant d’être à leur tour mangés par les carnivores. La radioactivité ne rentrent pas dans le corps animal par pure magie, elle doit y être introduite.
Déposée au départ sur le sol, et donc ingurgitée par la faune, elle est ensuite progressivement rentrée dans le sol et montée en hauteur dans les arbres par la sève, là où les animaux ne la mangent pas directement. De plus, un important enfouissement des sols agricoles contaminés a été pratiqué par les liquidateurs, contribuant également à faire chuter le taux de radioactivité à la surface.
L’arrivée constante de nouveaux animaux et graines dans la zone, malgré quelques pauvres barrières et barbelés, a aussi contribué à sauvegarder le patrimoine génétique défaillant des animaux et des plantes.
Selon leur espèce, les arbres ont connu un sort différent. Les arbres au génome de grande taille dans les cellules seraient plus sensibles à la nocivité de la radioactivité que ceux au génome plus ramassé sur lui-même, plus petit. D’ailleurs les arbres au génome de grande taille ont disparus de la zone...
La résistance, l’adaptation de la flore et de la faune à cette radioactivité non naturelle, il n’est pas inutile de le rappeller, est donc frappante, étonnante même. Dans l’esprit de beaucoup, plus rien ou presque ne pourrait logiquement survivre à Tchernobyl pour un long moment, ou bien alors sous une forme déviante, mutante.
Alors oui, ce documentaire ne fera pas plaisir à toutes celles et ceux qui luttent politiquement, et avec de sérieux arguments, contre l’industrie nucléaire, incapable de savoir quoi faire de ses déchets, prise dans un délire de libre concurrence, où le souci du moindre coût va conduire aux mêmes catastrophes que l’idéologie soviétique qui idolâtrait le nucléaire…
Mais peu importe. Les faits scientifiques sont là. La Nature a repris le dessus sur ce déferlement de radioactivité subit.
Avec je voudrais le rappeler deux réserves de taille…
Un, la zone a vu un très important afflux de flore et de faune. Sans cela, dans une zone réellement isolée, il n’est pas dit du tout que la vie aurait repris le dessus si vite… Cette expérience in situ n’est donc pas conforme aux normes expérimentales de laboratoire. Les conclusions à en tirer sont donc sujettes à caution…
Deux, la notion même de mutation n’est pas claire. Pour exister, doit-elle se produire en quelques générations, ou bien sur des centaines, des milliers d’années ? Il est possible que sous leur bonne forme actuelle, bien réelle, certains animaux ou plantes soient bel et bien modifiés dans le temps… Ou pas, il est impossible de le savoir dans un temps si rapproché de la catastrophe.
Plus important encore que les constatations scientifiques, l’évolution du site offre une vision très juste, à mon sens, de la présence de l’Humanité sur Terre, au-delà de l’usage à très haut risqué du nucléaire. C’est l’intérêt réel pour moi de ce documentaire, une véritable leçon de choses.
La zone autour du réacteur accidenté est donc privée de toute intervention technologique de l’être humain sur la Nature. Plus d’industrie et d’agriculture et donc de pesticides, de pollutions chimiques, de gaz d’échappements, de bruit, d’urbanisation.
Conséquence, si l’Humain s’en va, la Nature véritablement sauvage reprend place, recrée un équilibre. Une ville n’a aucuns sens pour une meute de loups, des lapins, des souris, des arbres qui défoncent les murs, poussent sur les terrasses…
Pour avoir lu certains commentaires et articles sur le film, beaucoup sont fascinés par cette situation, voir souhaitent la voir conservée comme réserve naturelle ! Etrange mais prévisible renversement où l’on se préoccupe des animaux plutôt que des souffrances humaines…
La sensiblerie larmoyante a encore de beaux jours devant elle et pervertit une réelle compréhension de ce que signifie Tchernobyl, une Humanité incapable de se maîtriser technologiquement et qui en paie les conséquences…
Le documentaire, même si ce n’est pas son sujet au départ, nous fait également prendre conscience que la Nature dans laquelle nous vivons est en réalité une nature organisée, planifiée, pensée pour les intérêts Humains, du moins souvent une partie d’entre eux au détriment des autres... Il n’y a là aucune symbiose entre l’Humain et la Nature, mais une volonté de contrôle quasi hystérique lorsque l’on y songe.
Conclusion
Mon sentiment sur ce documentaire portant sur un aspect du drame atroce de Tchernobyl, quasi officiel par la nature sociale de ses commanditaires, est donc très mitigé, vous l’aurez compris. Autant l’aspect purement scientifique m’a apparu vraiment pertinent, voir fascinant, autant le côté inhumain, cynique des scientifiques et du commentaire, l’absence de témoignages des habitants et liquidateurs le rend presque effrayant.
Pour quelqu’un d’inculte sur le drame de l’année 1986, le documentaire remplit sans doute son objectif inavouable, faire croire que finalement, la radioactivité, c’est un machin naturel pas très dangereux puisque la plupart des animaux vivent très bien. Mieux, il n’y a pas eu de morts et de malades, puisqu’on n’en voit aucun dans le film, alors que sur 1h 30, il était possible d’en parler, de les évoquer, ne serait-ce qu'en introduction.
Alors pourquoi s’inquiéter, pourquoi écouter tous ces ennemis acharnés et fanatiques de la Sainte Technologie ? Puisque la Nature répare toutes les ignominies industrielles avec une facilité déconcertante...
En attendant, on est bien morts en Europe par dizaines de milliers de cet accident regrettable mais finalement bien utile à la Science…
Enlever les êtres humains, mettez à l’image des jolis animaux, et vous ferez passer n’importe quel message. Les concepteurs de ce documentaire le savent très bien. Une large partie de la population ne croit qu’à ce qu’elle voit, préfère se scandaliser pour défendre des animaux plutôt que leurs semblables…
Et le scandale n’aura même pas lieu, puisque les animaux vont très bien, merci pour eux.
Voilà finalement la limite terrible de ce documentaire ; il faut déjà être très au courant de la situation de 1986 pour ne pas être pris par son idéologie trouble…
Tchernobyl, une histoire naturelle ? Une énigme radiologique peut donc être visionné avec intérêt, mais en gardant toujours à l’esprit qui l’a financé…
En plus des liens Tchernobyl dans mes sites préférés, je vous propose de voir quelques photos des lieux…
http://www.tuxboard.com/tchernobyl-21-ans-apres-la-catastrophe-les-images-d-une-ville-morte/
Un débat avec le réalisateur…
http://www.science-television.com/pariscience/fiche.php?sID=244
Quelques explications du réalisateur…
http://www.lesyeuxrouges.info/television/753-tchernobyl-une-histoire-naturelle-entretien-avec-luc-riolon.html
Un site avec quelques avis contrastés sur le documentaire…
http://www.centpourcentnaturel.fr/post/2010/05/24/Tchernobyl-une-histoire-naturelle
Je puis aussi vous conseiller ce livre de témoignages, vraiment bouleversant.
La Supplication, de Svetlana Alexievitch, que vous connaissez peut-être déjà.
Bientôt, une prochaine chronique documentaire sur un dvd vendu par Science & Vie, Le mystère de la disparition des abeilles, autre film d’Arte. Sans oublier Le silence des Nanos de Julien Colin, que j’ai eu la chance de voir en salle il y a peu. Mais j’attends de recevoir le dvd pour écrire ma chronique.
Gulzar