Bonjour à toutes et à tous.
J’ai revu dernièrement, avec un plaisir qui ne se dément pas, le film d’animation Appleseed, réalisé par Shinji Aramaki, d’après le manga de Shirow Masamune, l’auteur de Ghost in the shell, qui donna lui aussi deux films absolument définitifs. Le dvd est disponible chez Kaze diffusion.
Graphiquement le film est vraiment réussi, notamment avec cette technique du motion picture qui permet d‘animer les personnages à partir du mouvement d‘acteurs humains. L’originalité consiste en ce que les personnages réalisées en 3D soient ensuite redessinés, afin de rendre à l’écran le dessin du manga. L’usage de la 3D est donc là non pas là pour construire une image la plus réaliste possible, mais bien pour donner vie en relief à un dessin sur papier. Le principe fonctionne très bien, avec toujours cette troublante caractéristique pour des spectateurs occidentaux, le très léger trouble émotionnel que se permettent les protagonistes dans leur comportement. Les grandes démonstrations émotionnelles sont absentes, au profit de détails, de petits signes. Le ton reste froid, analytique, rentré, ce qui n’empêche nullement de goûter à l’histoire d‘anticipation.
Car c’est là l’essentiel du film, une base narrative vraiment de haute qualité, au beau milieu de pas mal de scènes de combat, qui pourraient rebuter certainement celles et ceux qui n‘aiment guère les films d‘action… Pourtant Appleseed dépasse complètement le genre, s’extirpant avec force du sempiternel combat entre le bien et le mal pour aller vers le film philosophique…
Sans vous raconter l’histoire des principaux protagonistes, voici l’essentiel de la thématique d’Appleseed, littéralement la graine de pomme, référence biblique s’il en est du pêché originel. Après une guerre mondiale, seul subsiste véritablement Olympus, une cité harmonieuse, espoir d‘une humanité enfin pacifique, débarrassée de ces tendances autodestructrices. Harmonie dirigée par le conseil des sept anciens, en perpétuelle conversation avec Gaïa, l’ordinateur gérant la cité Olympus, l‘Olympe étant la résidence des Dieux dans la Grèce antique.
Pour réaliser cette Utopie, une nouvelle espèce d‘humains vit au sein de la population, des bioroïdes ou clones d’humains sans passions, stériles, à la durée de vie limitée sans assistance médicale, cohabitent avec les humains. Ce système social est censé parvenir à réduire, voir annihiler les conflits entre humains, et pacifier le comportement de chacun.
Peine perdue, l’Armée humaine complote pour éliminer les bioroïdes, ne supportant pas qu’ils contrôlent la cité. Mais rien n’est simple. Constatant l’échec des bioroïdes, les sept anciens, semblant suivre les conseils de Gaïa, ne complotent-ils à leur tour pas dans l’ombre pour éradiquer l’espèce humaine, qui aurait fait son temps, pour la remplacer par une autre, enfin rendue non stérile ?
Véritablement, ce manga et le film dont il est tiré repose sur un vrai concept philosophique, ou cauchemar diront certains. L’Utopie d’une Humanité arrivée à sinon une perfection du moins à une amélioration est une constante dans l’Histoire, du moins depuis l’apparition d’un mode de vie sédentaire, des grandes cités organisées, des rivalités d’Empires. La croyance d’une aube nouvelle, d’un renouveau, d’une sortie définitive d’une barbarie supposée, on la retrouve, comme un aiguillon constant, poussant l’Humanité à se surpasser, souvent pour le pire.
Et il convient de ne pas uniquement penser aux délires eugénistes récents, tel que le Nazisme européen, et non uniquement allemand, l’éradication des peuples conquis par l’Empire Japonais, l’Homo Sovieticus de Litchenko, par lequel le communisme était censé pénétrer les gènes de l’espèce humaine…
Il y eut aussi l’Empire Romain civilisant les peuples barbares tels ceux occupants la Gaule par exemple, mais également, l’on n’y songe pas, les intellectuels du Siècle des Lumières, qui prétendaient par l’éducation changer la face de l’Humanité, la rendre meilleure, vaincre la guerre et les maux sociaux, les scientifiques du 19ème siècle qui croyaient par la Science et la Technologie mettre fin à toutes les misères humaines.
Nous avons depuis peu les tenants de l’Homme Amélioré, par l’incorporation au corps - à l’esprit ? - des technologies génétiques, informatiques et de communication.
Tous fantasmaient, fantasment et fantasmeront une nouvelle Humanité, tentatives vouées à finir dans le sang ou dans le délitement d’un idéal par la réalité physique du monde. Les créateurs des bioroïdes d’Appleseed échoueront eux-aussi, après avoir manquer d’éradiquer l’espèce humaine… C’est dire à quel point le récit est construit sur un axiome idéologique très profond. Appleseed revisite, à travers une réalisation de génie génétique, cette incapacité chronique de l’Humanité à se supporter elle-même, à toujours trouver un bon moyen d’en finir avec sa propre nature.
Car voilà le vrai du vrai. Si l’espèce humaine évoluerait réellement, si elle parvenait à éradiquer certains comportements, notamment violents, alors en réalité, il s’agirait d’une autre espèce. Un ours qui ne se comporte plus comme un ours n’en est plus un. De même pour un humain. L’ours devra-t-il pour autant s’effacer, disparaître ?
Peu importe le moyen, culture, torture physique ou mentale, eugénisme, embrigadement social, rien n’y fait ; nous n’évoluons pas dans nos axiomes comportementaux, ou si peu, ou uniquement de manière circonstancielle. Parce que nous restons nous-mêmes, inchangé sur le fond.
Appleseed est l’histoire passionnante et troublante d’un nouvel échec dans cette tentative désespérée et meurtrière de changer la nature humaine. Une nouvelle fois, nous passons si près du gouffre ultime. Ce n’est heureusement qu’une fiction, mais les progrès sans cesse grandissant et apparemment sans grande limite technique du génie génétique laissent entrevoir les abîmes à venir.
Le constat est amer. L’écart est sans cesse grandissant entre nos possibilités techniques sans cesse plus étendues et notre comportement social et trivial toujours inchangé depuis des millénaires. Nous sommes une espèce animal, nous le restons.
Les pommes, celles de l’Amour et de la discorde, seront donc toujours pourries.
Gulzar