Bonjour à toutes et à tous !
Chronique cinéma aujourd'hui, sur un film rare et intéressant, Conspiracy, de 2001, réalisé par Frank Pierson, qui évoque très concrétement la réunion de 1942 à Berlin d'une quinzaine de responsables nazis pour définir le processus d'extermination des juifs de l'Europe entière, nommée solution finale...
Passé le côté "slogans idiots" de l'affiche, j'ai visionné un film d'un rare réalisme... Certes, ce n'est pas un film de SF, je n'aurai donc pas normalement à le chroniquer sur ce blog !
Néanmoins, loin des reconstitutions des camps de concentration et d'extermination, d'images de guerre parvenant péniblement de tenter de nous rendre compte de l'horreur, l'écriture scénaristique privilégie la parole, puisqu'il s'agit de rendre compte d'une réunion, sujet unique du film.
Nous arriverons au sentiment de dégoût non par l'image, mais bien plus par les faits, un unique compte-rendu de cette réunion retrouvé servant de base au scénario.
Nous sommes dans la fabrication, la conceptualisation froide d'un processus, pas dans l'exécution, les cris et les pleurs. Quoique...
N'attendez pas un film novateur cinématographiquement. Il est simplement conçu, avec une esthétique classique, calme, sereine. Ce qui est finalement idéal pour nous faire ressentir le côté administratif, quasi banal dans le mode de fonctionnement du nazisme de cette réunion.
L'autre grande qualité du film est l'écriture des personnages, certains connus comme Reinhard Reydrich et Adolf Eichmann, d'autre plus anonymes. Chacun représente une partie de la société, une vision du problème juif qui varie avec leur expérience, leurs limites morales, pour ce qui en restent...
Et Adolf Hitler est absent, résumé à un vague chef auquel il faut obéir. Ce qui rend utilement chaque participant pleinement responsable de ses actes.
Surtout, cette réunion n'est pas réellement une réunion de travail, de recherche de solutions techniques, de compromis. Elle est là pour faire avaliser à chaque participant le principe de la solution finale, leur participation pleine et entière à un projet déjà en cours... Les chambres à gaz dans des wagons sont déjà testées, installées en dur dans trois camps.
Le régime nazi souhaite garder secret cette extermination totale, n'écoute personne, enfermé dans son idéologie, mais a besoin du soutien des principaux piliers sociaux, malgré l'importance grandissante des SS à cette période de la guerre, les nazis se méfiant de l'armée de métier.
*
Mais rentrons dans le processus, au coeur de cette réunion ...
En plein hiver 1942, alors que le conflit s'enlise en Russie soviétique, début de la débacle nazie, le régime a un problème juif à résoudre... L'émigration cesse, les pays alliés n'en veulent pas. Les ghettos débordent de partout, les massacres nommés évacuation, ne suffisent pas à réduire leur nombre. De plus, l'invasion de la Russie Soviétique fait qu'il y a des millions de juifs supplémentaires dont il faut bien s'occuper...
Hors il faut les nourrir, ou les tuer d'une balle dans la tête, ce qui est long, fastidieux et coûteux...
Pris dans leur logique de pureté raciale, de haine systématique, de souci d'économies, le Reich tend donc à l'élimination physique totale des juifs allemand et des autres nations, de la Scandinavie à la Lybie, de la France à L'Oural, au mépris d'autres considérations...
Mais comment faire concrétement ? C'est là le sujet du film, de la réunion. Militaire de terrain en Russie dont les hommes répugnent à ces massacres de civils, militaire chargé des ghettos polonais surpeuplés dont il ne sait plus quoi faire, membre du corps diplomatique censé vanter une politique humaniste vis à vis des juifs, SS partisans d'un génocide total et rapide, représentant de l'industrie s'inquiétant de la perte de main d'oeuvre juive, juriste des lois antisémites de Nuremberg qui s'inquiète d'une complexité croissante des règles nouvelles qu'il faudrait établir pour savoir qui est juif et qui mérite de ne pasmourir, etc..., chaque participant apporte alors sa pierre tombale à ce grand débat d'idées, farci de chiffres, d'idées reçues, de blagues vaseuses, de logique purement abstraite, d'orgueil personnel, de morceaux de pouvoir ou sa propre vie à préserver, car il ne fait pas bon s'opposer aux SS, à la volonté des très hauts dignitaires nazis..
Une méthode sera un long moment en débat, défendu par ceux qui veulent privilégier d'abord l'effort de guerre sur l'anéantissement rapide demandant trop d'efforts matériels et financiers, la stérilisation. Mais doit-elle être forcée, volontaire, cachée, assumée ? Par quelle méthode, en quels lieux ? Et qui stériliser ? Et comment faire avec les enfants ?
En comparaison, la chambre à gaz fait alors figure de moyen d'une rare rationalité..
*
Autour des propos réels tenus pendant la réunion, le scénario donne intelligemment à vivre les participants, sans en faire des monstres absolus, plus simplement des gens tordus, incapable à ce tournant de revenir en arrière, de perdre leur place prestigeiuse, peut-être leur vie également...
La toute fin du film est constituée de la biographie des participants après la guerre. C'est certes utile, mais aussi banal. Cela individualise trop les personnages, en fait des héros déchus, alors que les domestiques anonymes de la grande maison finissent de ranger, de faire le ménage après le départ des participants à cette funeste réunion qui a rempli sa mission, faire admettre l'innadmissible aux industriels, à la Justice, aux légistes, à la diplomatie, à l'Armée de Terre...
Cette fin ramène trop à la période nazie uniquement. Une perversité ultime de ce film aurait été de l'ouvrir, symboliquement, à d'autres époques, d'autres milieux sociaux...
Car de telles réunions sont légions, quotidiennes, même si elles traitent de moins d'êtres humains. A chaque heure, des gens décident de notre sort, en notre absence, dans notre ignorance entretenue ou volontaire..
*
En songeant à l'écriture de cette chronique, je me suis remémoré un épisode récent de l'Histoire de France, l'arrêt étonnant du nuage radioactif en provenace de Tchernobyl à la frontière franco-allemande en 1986. Mensonge d'état, décidé, planifié, qui a sans doute entraîner des centaines de morts inutiles, des milliers peut-être, de vies traumatisées par une leucémie, un cancer.
Cette tentative de protéger l'industrine nucléaire française d'un cynisme certain est en même temps d'une stupidité sans nom, d'un mépris de la vie humaine. Aucune consigne de base n'a été donné à la population, comme ne pas sortir les enfants dehors, cesser le sport en plein air, laver ses légumes, cesser de manger certains aliments comme les champignons, prendre des cachets d'iode, etc...
J'espère que vous n'avez pas oublié ce triste épisode, la politique de nos élites technocratiques, prêtes à laisser mourir pour préserver leur prestige et leurs intérêts.
*
C'est l'immense qualité de ce film, rendre palpable non l'horreur de l'exécution d'une politique, mais l'horreur de la prise de décision de cette politique, sans fards, sans mensonges, dans sa nudité crue, au beau milieu des mets délicats et du bon vin.
Les conspirations existent bel et bien, même si ce mot nous éloigne finalement de la réalité, portant avec lui un parfum de mystère impénétrable. Alors qu'il suffit de bien connaître la nature sociale humaine pour ne plus s'étonner de rien...
A bientôt avec une chronique sur Cube 1 et 2. Là encore, la mort programmée, gratuite, absurde sera présente, cette fois sous forme de pur spectacle...
Gulzar