Bonjour à toutes et tous !
Longue et intriguante chronique sur un film d’animation récent, Numéro 9, film d’animation de Shane Acker diffusé par M6 vidéo, que j’avais hâte de visionner, tant les personnages et le sujet m’intéressaient !
Mon sentiment est pourtant mitigé, comme souvent à propos de la narration. J’y retrouve le même souci que pour le récent Moon, que je chroniquerai sous peu.
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Mais tout d’abord, résumons l’histoire. Une terrible guerre oppose les humains aux machines d‘un nouveau genre. Et les humains perdent… Un savant, dont nous découvrirons qu’il est justement à l’origine de ces machines, décide de créer de petites entités, au nombre de neuf, afin de lui succéder. Le numéro 9 se réveille enfin, erre dans les ruines d’une cité détruite, et retrouve les autres… Le film se situe dans une hypothétique Europe, très proche de celle nazie des années 30 et 40.
Pour moi, deux grosses qualités ressortent immédiatement du film !
Tout d’abord, le formidable travail graphique sur les décors, sur les entités elles-mêmes, faite à partir de tissus, de fermetures éclairs, de bois, de fil de couture, de boutons et de métal ! C’est très réussi, vraiment ! On y croit avec grand plaisir ! Cette idée de bricolage est bonne. Le savant réalise ses entités, ces marionnettes animées pourrait-on dire, avec les moyens du bord, dans une ville aux abois, encerclée par les machines, sous les bombardements et les restrictions. Il y a là une logique narrative qui se tient.
Ensuite, l’envie du réalisateur de réaliser un film animé en 3D avec un ton plus adulte, angoissant, sans grosses farces, sans humour récurrent, est louable. Sans atteindre sa qualité narrative et humaine, loin s’en faut je vais y venir, Numéro 9 pourrait se rapprocher de l'extraordinaire Max et Mary, film d’Adam Elliot. En effet, ce film d’animation sur le même principe que Wallace et Gromit des studios Aarman s’éloignait justement du ton délirant et charmant de ces derniers pour aller vers le plus grave.
Mais bien vite, une fois le film fini, je me suis retrouvé frustré… Car Numéro 9 n’a tout simplement pas de fin, de morale explicite, de sens en vérité ! Ce n’est pas un exercice purement gratuit, les rapports entre les entités sont intéressantes, le montage est intelligent. Mais la narration est incomplète…
Détaillons un peu. Nous apprenons à la fin que le savant, un homme naïf cruellement dépossédé de son invention par une méchante dictature, désespéré par la fin imminente de l’Humanité,qu‘il a indirectement provoqué, a en réalité divisé sa propre âme en neuf parties, neuf entités. Par inconscience, Numéro 9 remet en marche une affreuse machine, qui capture ces parties d’âme… Tant pis, je vous révèle la fin du film ! Les entités survivantes, dont Numéro 9, libèrent ces parties de l’âme du savant, qui s’envolent au ciel.
Et voilà, c’est tout.
Pourquoi une telle démarche du savant ? Dans quels buts ? Que deviennent les entités restantes ? Le monde va-t-il redevenir humain ? Rien de tout cela dans le film, à part une vague historiette, à base d’âme, concept très peu narratif !!!
Le vrai sujet du film à l’origine me paraît être celui-ci, comment l’humanité peut-elle survivre, puisque les machines tuent, massacrent tous les humains ? En prenant une autre forme !
C’est effectivement le début du film. Et tout du long, j’étais persuadé que ces entités contenaient en elles de quoi, en se réunissant, reconstituer l’espèce humaine ! Par du patrimoine génétique, par autre chose encore. Qu’elles représentaient un espoir, un avenir.
Mais non. La démarche du savant, personnage tout de même caricatural, est incompréhensible, n’a aucun sens… Certes, il a perdu son âme en apportant son soutien aveugle à une dictature meurtrière et guerrière. Mais à quoi bon la diviser ? Pourquoi finalement ses neuf entités ? Et quel est le sens de leur existence ? Le film n’en dit rien ! À aucun moment ! Nous les voyons lutter, se battre pour leur survie. Mais sans but réel.
Mais peut-être est-ce cela, être un humain..?
Je suis un adulte, et je n’ai rien compris à la finalité du film. Je doute qu’un enfant y trouve une logique, une morale utile, sans faire d’ailleurs de moralisme
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Numéro 9 est donc à mon sens un film sensitif, de matière. Mais pas d’histoire, encore moins de morale humaine… C’est tout de même extrêmement dommageable, voir impardonnable à ce niveau de création. C’est bien le premier film d’animation que je visionne qui n’a aucun sens narratif !
Une explication pourrait être que ce film à pour origine un court métrage, assez énigmatique… Les auteurs ont-ils voulu conserver ce mystère ? Mais mystère ne signifie aucunement perte de sens.
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La machine infernale en elle-même, quel intérêt narratif apporte-t-elle réellement ? Numéro 9 possède une espèce de pile, qui mise par erreur dans le thorax de l'affreuse machine, l'éveille. S'en suit une poursuite au cours de laquelle elle avale les âmes des entités. Les survivantes tentent de détruire la machine, avant que Numéro 9 ne parvienne à les convaincre de sauver les âmes prisonnières d'abord...
Une question se pose alors. Pourquoi le savant a-t-il donné la pile à Numéro 9 ? Pour quel usage initial ? Pour apporter de l'énergie à quelle machine, à quel processus ? Nous n'en saurons rien, ce qui est tout de même extraordinaire... Rappellons que la lutte contre la machine doit durer largement plus d'une demi-heure du film, alors qu'il ne s'agit que d'une erreur de Numéro 9 !
S'agissait-il de "mettre de la bagarre" dans le film ? Sans doute...
Cette part de hasard certes existe dans la vraie vie. Il est même tout à fait possible de l'incorporer à un récit !
Mais dans Numéro 9, je trouve qu'elle est gênante, puisque nous perdons totalement en route le sens des actes du savant créateur des neuf entités. Hors il est la raison d'être du film !
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J'ai tenté de ne pas en rester à mapremière impression désagréable. Car à la réflexion, il est possible de ressentir le film tout autrement.
Numéro 9 est peut-être alors bien plus pertinent, dérangeant que je le ressentais !
Livrés à eux-mêmes, les entités dévient du plan du savant, que nous ne connaîtrons jamais... Numéro 9 et les survivantes vivront leur vie, sans se soucier de faire renaître l'Humanité...
Nous sommes alors dans une narration vraiment novatrice, en tout cas audacieuse, puisque rompant avec nos habitudes narratives ! L'histoire humaine mise à mal par ses créations technologiques, la conscience déchirée errant sans but, voilà alors le thème du film !
Le scénario n'est plus un chemin savamment pensé, mais une errance dans un désert... Le hasard prenant sa pleine et entière place.
Numéro 9 est sans doute alors ce que l'on pourrait qualifier de film chaotique, au sens de la Théorie du Chaos qui révolutionne la science depuis la seconde moitié du 20ème siècle.
La conséquence est que la volonté humaine est alors contrecarrée par le hasard, le comportement imprévisible des entités, des créations technologiques développant leur vie propre ! Sujet très contemporain donc.
Tout ce qui est donc pensé, programmé par l'Humanité, en l'occurence un savant, est dépassé, mis à mal, annihilé par d'autres volontés.
Nous assistons alors vraiment à la fin de l'Humanité. Une autre vie artificielle a pris sa place.
Néanmoins, utiliser le concept d’âme relève purement et simplement de la fainéantise narrative… L’âme est un concept religieux, et doit le demeurer. Les auteurs de Numéro 9 ont réutilisé un cliché éculé, la bonne vieille opposition entre âme et science dévoyée, Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Mais n’en n’ont rien fait de nouveau, du moins en apparence.
Alors certes, les religions nous racontent de belles histoires, mais il me semble que les auteurs de Numéro 9 auraient dû travailler en profondeur l’essence même de leur histoire à eux, pour lui donner une existence plus charnelle, plus réaliste dans le comportement humain.
Numéro 9 aurait été alors un immense film ! Qu’il n’est donc pas, faute de narration…
A moins qu'il ne soit un film révolutionnaire, basé sur un scénario dit chaotique, refusant l'emprise de structures narratives classiques....
Je vous laisse seul juge, ayant moi-même du mal à trancher !
À bientôt, avec d'autres chroniques de films !
Gulzar