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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 07:44


Bonjour à toutes et à tous…

Utile rappel historique aujourd’hui, avec la chronique consacrée à La soupe aux choux, film de Science Fiction de Jean Girault sorti en 1981, d’après le livre éponyme de René Fallet.

 

soupe choux affiche
Tout d’abord, un petit résumé s’impose, afin d‘avoir une claire vue de la situation.
Deux vieux paysans, le Bombé joué par Jean Carmet, et le Glaude, joué par Louis de Funès, habitent l’un en face de l’autre, en marge du village Les Gaudiflots. Menacé d’expropriation par le maire, un fou furieux du développement économique, ils se contentent de se chamailler pour un rien, de boire des canons de rouge, de péter ensemble sous les étoiles.
Puis, un soir débarque un étrange personnage avec sa soucoupe volante, venant d’un monde lointain et triste où le plaisir est interdit, parlant par bglou bglou bglou bglou, et détenteur de surprenantes technologies... Le Glaude et l’extra-terrestre, surnommé la Denrée, finissent par sympathiser autour d’une soupe aux choux qui enthousiasme le lointain visiteur.
Pour récompenser le Glaude, il fait revenir des morts sa femme Francine décédée… Mais à l’âge de vingt ans ! Le Glaude, finissant par admettre qu’ils ne peuvent vivre ensemble, la laisse partir avec un jeune de son âge sur sa moto, lui laissant même de son argent pour démarrer dans la vie…
La Denrée revient de nouveau pour se ravitailler en soupe aux choux, qui est en train de révolutionner sa planète. Le plaisir devient enfin permis... Toutefois, rien ne va plus pour nos deux vieux, qui refusant de vendre leurs terres, se voient entourer par le parc d’attractions voulu par le maire… Ils finissent enfermés comme des singes dans une cage, présentés comme le frustre passé paysan, constamment moqués par le public qui réclame les vieux cons et leur jette des cacahouètes…
Finalement, ils acceptent la proposition de la Denrée de partir avec lui dans sa soucoupe pour vivre très vieux et heureux sur sa planète Oxo…

L’on est prié de ne pas rire, du moins du film lui-même.
Car véritablement, La soupe aux choux est une grande comédie très bien écrite, au même titre que d‘autres films plus prestigieux qui n‘empruntent pas la forme drolatique.
Sur bien des points, c’est tout simplement l’un des meilleurs films français du genre, populaire et vulgarisateur de thématiques authentiquement SF. Démonstration…

Ce qui me frappe en premier à chaque visionnage, c’est d’abord la qualité d’écriture et la beauté des personnages, de leurs caractères humain et social qui s‘entremêlent avec les thématiques SF. Ils sont délirants certes, c’est la loi du genre comique, mais totalement inscrit dans leur milieu et leur temps. Parfois pas si délirant et particulièrement touchants.

L’amitié entre ces deux vieux paysans, de jeunes gens durant la seconde guerre mondiale, est profonde, durable, tenant tant à des habitudes de vie que par une communauté de destin. L’un est bossu, ne s’est jamais marié, l’autre est veuf. Tous les deux célibataires, ils forment un duo inséparables, ivrognes et péteurs devant l’Eternel.
Toutefois, le retour impromptu de Francine, la femme du Glaude, opéré par la Denrée, va bouleverser cette équilibre. Le glaude apprendra que sa femme a fauté avec le Bombé pendant qu’il était prisonnier de guerre. Il ira jusqu’à le menacer de son fusil jusque dans son lit.

Mais ne le tuera pas, la vengeance n’ayant finalement aucun sens… Ce n’étaient que trois humains confrontés à leurs pulsions, la morale chrétienne perdant son sens. Le Bombé, bossu, ayant là trouve l’occasion d’enfin faire l’amour à une femme, tandis que Francine trompe son homme avec son meilleur ami, le voisin, sans grand risque. La jalousie n’aura pas eu raison de leur amitié.

 

soupe-aux-choux 6
La soupe aux choux raconte là une histoire bien banale, le petit bout de la lorgnette d’une guerre mondiale, mais oh combien essentiel pour celles et ceux qui l’ont vécu. Francine n’a pas trompé le Glaude avec un allemand, c’est déjà ça.
Pourtant, la sexualité est un trait essentiel des guerres, des viols à grande échelle à but punitif aux bordels militaires en passant par les coucheries honteuses avec l‘ennemi. La soupe aux choux parvient donc à évoquer le passé de ces personnages sans en faire des héros résistants ou des collaborateurs durant la période pétainiste de la France.
Ces hommes isolés du reste du village car vivants dans un hameau perdu, ne sont pas pour autant coupés des réalités du monde, même si bien sûr ils les subissent plus qu’ils les impulsent…

Surtout, les voilà plongés en pleine Science Fiction. 

Francine, la femme décédée du Glaude, jouée par Christine Dejoux, revient d’entre les morts, preuve de la supériorité de la civilisation d'Oxo.  Cet épisode est très bien situé dans le film, symbolisant l’impossibilité humaine de certaines situations…
La Denrée croit faire plaisir au Glaude en lui ramenant sa femme, telle qu‘elle était en sa jeunesse. Sur Oxo, la mort n’est rien, ou presque… D’où sans doute que la vie ne vaut rien non plus…
En quelque sorte, le voilà en Dieu capable de résurrection, un Dieu sympathique et maladroit, en combinaison spatiale.
Car évidemment, le Glaude à vieilli… La cohabitation tant culturelle qu’amoureuse est impossible entre cette belle jeune femme, contente de revenir dans son corps jeune et ce vieillard attendri, qui se rend bien compte qu’il ne peut plus satisfaire sur beaucoup de plans sa femme…
Finalement, elle s’adaptera aisément au mode de vie de la jeunesse, à ces motards qui l'emmènent loin de la campagne, à la ville ; prenant comme le dit le Glaude sa liberté de gourdandine avec un jeune homme de son âge.

Le Glaude se fera une raison, pleurant discrètement de dos, un panier de choux à la main…
C’est là une belle parabole sur la différence de génération. L’amour n’est rien face à certaines réalités. Surtout, le film rappelle que le corps dicte son appartenance sociale…

Beaucoup plus léger, une brave dame devient la folle du village.

Jouée par Claude Gensac toujours aussi drôle, elle n’arrive pas à convaincre les gendarmes qu’elle voit une soucoupe survoler son jardin certains soirs… Habituellement jouant la femme de Louis de Funès, elle trouve là un rôle intéressant, reliant le film à d’authentiques ovnis ayant survolés la France durant les années 60, 70, 80…
Personnage secondaire, mais très logique narrativement. Elle est celle qui sait, mais que personne ne croit, position absolument associée aux ovnis et à leurs observateurs, sans même parler des personnes enlevées…  

 

soupe aux choux
Il reste à évoquer maintenant La Denrée, l’étranger, le personnage extra-terrestre du film. Le plus incroyable, c’est sa sincérité absolue, aussi forte que celle des personnages terriens. 
Son costume de voyageur de l’Espace, associé à son langage incompréhensible aux humains, sont d’une rare force comique. Ses bglou bglou bglou bglou, tout en étant ridicules, plonge immédiatement le spectateur dans une représentation de l’extra-terrestre à l’opposé du conquérant baveux à tentacules sans pitié.
Nous restons dans la comédie. Toute menace est exclue.

Venant d’une planète dictatoriale, sans plaisir, qui est donc l’exacte contraire de la Terre, il nous renvoie en fait le souvenir du nazisme… Les deux paysans français, qui n’ont pas lutter contre l’envahisseur durant la seconde guerre mondiale,  finalement parviendront à vaincre une dictature, par la seule grâce de la culture culinaire du terroir, la soupe aux choux.
La soupe aux choux constitue la métaphore d’une France paysanne terrassant l’Allemagne à la pointe du progrès technique…
Encore une fois, de manière franche ou détournée, la France pétainiste est au cœur du film. Porter un masque est pour une œuvre une qualité essentielle. Et derrière ce masque se cache l’atroce, le malheur. Tout en respectant et explorant son sujet SF, La soupe aux choux repose sur une société réelle, un pays réel, des personnels réels et non sur un scénario gratuit. 
Le film paraît superficiel, il ne l’est pas.

Plus techniquement, la Denrée a une magnifique soucoupe, archétype absolu des soucoupes du cinéma des années 50. Elle est assez bien réalisée finalement, bien éclairée.
Comme de bien entendu, notre sympathique étranger a également un traducteur instantané, un rayon paralysant et un communicateur galactique, comme dans les meilleurs récits des années 30 ou 50. La soupe aux choux, effectivement, n’est pas à la pointe de la SF d’aujourd’hui, inutile de mentir…

Mais c’est sympathique au visionnage et finalement bien dans la logique du récit comique. La denrée ne peut être en décalage avec le Glaude et le Bombé. Tous trois sont à la traîne de leur propres sociétés respectives et cela doit aussi s’exprimer par une panoplie SF caricaturale, bien qu‘utile pour que concrètement la communication se fasse entre Oxiens et humains.

Un personnage détonne tout de même  dans La soupe aux choux. Seul idéaliste du film, personnage contrepoint, il s’agit du maire du village Les Gaudiflots, qui est animé par une idée, une idéologie, en finir une bonne fois pour toutes avec la paysannerie pour transformer le village en parc d’attractions, avec un rocher aux singes, un parking immense de 4 000 voitures...
C’est en fait le seul personnage qui ne varie pas, qui ne tient compte de rien, monomaniaque de la modernisation, qui va précipiter le film vers son dénouement en provoquant la fuite des deux vieux paysans pour un monde qui saura les reconnaître à leur juste valeur... 
Car la France ne veut même plus de ses vieux…

Objectivement, c’est lui le danger, le psychorigide, celui qui n’évolue pas ; paradoxalement celui qui porte la parole et la volonté farouche de changement. Cest bien écrit, le maire rajoute une trame supplémentaire drôle et inquiétante à la fois à l‘histoire, qu’il fait avancer sans qu‘on s‘en rende bien compte dans l‘ombre de la Denrée, personnage plus central et spectaculaire.

Dans La soupe aux choux, on se méfie des idéologies, car elles n’amènent que souffrances et désolation, tant sur Terre que sur Oxo. Ce qui gouvernent ces personnages, ce ne sont pas des idées, mais les réalités concrètes de la vie, leur jeunesse, leur vieillesse, leurs désirs amoureux, leur estomac, leurs peurs…
L’amitié, un bon repas demeurent les seules joies bien réelles ! La rencontre entre les deux civilisations Terrienne et Oxienne se fera donc autour de la table, autour de deux assiettes de soupe. Quoi de mieux en y réfléchissant ? Lorsqu’on a un ami, on l’invite à manger chez soi, le repas constituant en France un cérémonial quasi indestructible, fortement socialisé.
Voilà donc pour moi l’explication du succès toujours actuel de ce film. Parodie de films SF américain, il s’inscrit pleinement dans une territoire, une histoire, une gastronomie, celles de la France.

Le public aime se retrouver, se mirer dans un film.

Fondamentalement, chaque récit, peut être vu comme une réponse à une question. Qu’elle est-elle pour La soupe aux choux ? De mon point de vue, le film répond à une question simple et pourtant essentiel en terme narratif.
D’où provient l’effroi ?
La réponse me paraît assez claire. Le vrai danger qui pèse sur la France, la France des campagnes, ce ne sont pas les extra-terrestres, les étrangers aux étranges tenus vestimentaires, mais le développement économique, la folie furieuse de croitre, de s’enrichir, le reniement de son passé au détriment d‘un modernisme consumériste.

La menace ultime, c’est la société des loisirs, le déferlement d’idiots prêts à dépenser leur peu d‘argent de classe moyennes… Et pour échapper à cet enfer sur Terre, le Bombé et le Glaude iront jusqu’à abandonner leur planète pour une autre, l’espèce humaine pour les Oxiens.
La crétinisation de la société est en cours, avec l’émergence d’une population sans racines, qui certes ne pétera plus sous les étoiles, mais considérera ses origines paysannes avec mépris ou amusement dans un cadre marchand et touristique…

C’est dire la force morale de ce film, sa justesse sociale. La soupe aux choux s’inscrit totalement dans la France des années 70 et 80 à la classe moyenne triomphante. Les deux faces inséparables de la société de consommation sont présents. La libération sexuelle, l’émancipation des femmes côtoient une marchandisation sans cesse de plus en plus outrancière, sans même que l’on s’en rendent vraiment compte, qui ne concernent plus que les objets mais aussi les rapports sociaux entre individus, jusqu’à la vie de deux pauvres vieux…
Nous voilà devenu des choses, alors que les Oxiens redécouvrent la liberté et le concept libérateur d’individu… La France ne veut plus de sa soupe aux choux, trop ringarde, alors qu’elle fait le bonheur d’une planète entière.
Le paradoxe est simple, enfantin même, mais porte le film tout du long.

 

soupechoux soucoupe
Si la Science Fiction consiste à explorer le réel, en décrypter les rouages, et non simplement se projeter dans un futur à l’imagination débridée, alors La soupe aux choux est une œuvre particulièrement bien écrite ! Le film a de véritables propos, mêle habilement thématiques SF et sociologiques, voir idéologiques.
Peut importe sa forme. Car juger un formalisme pour lui-même n’a aucun sens, sinon emprunter le dangereux chemin du dédain pour le récit populaire, comme d’ailleurs à l’opposé le mépris pour les œuvres raffinées et intellectuels…
La soupe aux choux est tout simplement un sacrément bon film populaire, à déguster encore et encore, ainsi qu’une référence pour l’écriture filmique de qualité, où la peur du ridicule n’existe pas, repoussée à quelques années lumière des convenances cinématographiques et du bon goût.

Bien sûr, il est toujours tentant de voir dans le film une défense passéiste d’une France rurale éternelle, attaquée par la modernité aux dents longues… Ce qui me semble guère défendable en réalité. Refuser une évolution qui vous ridiculise, qui vous réduit à l’état de bêtes à touristes n’a rien de répréhensible et de rétrograde.
Il n’y vraiment que de pauvres critiques citadins, consuméristes et pseudo gauchistes à bon compte, pour penser de telles bêtises. Les mêmes qui traitent Jean Becker de Pétainiste parce qu’il réalise des films qui se passent à la campagne, tels Les enfants du marais ou Un crime au paradis, avec des grenouilles et des gens qui ne vivent pas dans la modernité, dont ils se fichent ou se méfient… 

On croit parfois rêver en lisant certaines revues… Certes Jean Girault et Jean Becker ne sont pas des génies du cinéma, filment un peu benoîtement leurs histoires en refusant le cynisme ambiant et certaines réalités sociales, mais ils ne méritent pas de telles méchantes et stupides critiques… Certains ont tellement besoin d’ennemis idéologiques qu’ils s’en fabriquent à tout prix, de bien inoffensifs ennemis à vrai dire…

Filmer la paysannerie de quelque manière que ce soit relève pour certains de l’impensable, du révoltant, du sale, du passé. Tant pis pour eux.
C’est là aussi un des ressorts formidables du film, mettre de la SF à la campagne au lieu d’une mégalopole, que l’on suppose son lieu de prédilection.

À contrario, une partie du scénario de La soupe aux choux repose en fait sur une notion essentielle en nos sociétés de consommation jouant la corde sensible du passé, tant dans l’alimentation que le tourisme, l’authenticité. Concept très étrange en vérité, aussi dérangeant que la théorie quantique… Une soupe aux choux cuisinée avec amour durant des heures sur un feu à bois n’est pas plus authentique que celle en bric de carton vendue au supermarché pour faire de l‘argent. Elles sont toutes deux authentiques, puisque réelles. Leur différence de nature est ailleurs.
L’authenticité est un mensonge fondamental, un mot usurpé, trompeur, qui rend idiot  dès qu’on l’utilise, un terme parfois utilisé avec grand cynisme. Il suffit de songer au slogan des supermarchés Auchan, la vrai vie.

Ce qui suppose en toute logique qu’il en existe une fausse vie, n’est-ce pas, notamment celle de tous ces gens bizarres qui ne vont pas acheter à Auchan, qui ne feraient donc pas partie du peuple…

Alors peut-être que pour certains spectateurs La soupe aux choux nous ment. Je vous laisserai vous faire votre propre opinion à son visionnage… Mais l’on a connu et connaitra pire mensonge me semble-t-il.

Un petit mot tout de même pour saluer l’excellente musique de Raymond Lefebvre qui agrémente le film. Tant les sons de clavier que les mélodies nous emportent dans une bonne humeur communicative.

Comme le film, elle ne se prend pas au sérieux et joue avec les clichés musicaux, sans pour autant être gratuite. C’est l’un des atouts du film. Il suffit de l’entendre pour être à nouveau le nez dans La soupe aux choux.

Quelque soit nos goûts personnels, quelque soit le jugement que l’on peut porter sur le genre de la comédie, La soupe aux choux de Jean Girault est narrativement un film très riche, bien structuré, c’est pour moi indéniable. La qualité d’écriture de l’histoire justifie sans doute, au-delà de l’affection portée aux acteurs, que ce film de SF franchouillard soit toujours drôle et pertinent aujourd’hui, qu’il conserve une forte côte auprès de ses admirateurs, dont je fais partie.

Alors rions donc de bon cœur avec le Bombé, le Glaude et la Denrée.
D’ailleurs, qui oserait se moquer de la soupe aux choux, excellent plat paysan qui est un ravissement pour le palais et l‘estomac, à faire revenir Ubik d’entre les morts ?!!! Pas moi en tout cas.

J’aime trop les bonnes choses qui tiennent à l’esprit et au ventre.
Gulzar

 

Un site sur le film : bix.free.fr/choux/index.php

 

La chronique à télécharger en pdf, aevc galerie photo et filmographie de Jean Girault

sd-5.archive-host.com/Gulzar_Dossiers_FILMS/la_soupe_aux_choux_pdf.doc

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commentaires

G
<br /> effectivement, le film reste actuel par certains aspects politiques, je n'ai pas insisté sur ce pont dans la chronique. le grand absent sans doute du film, côté paysannerie, c'est<br /> l'industrialisation des terres, des animaux.<br /> sinon, pétons-nous encore dans nos campagnes ?<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Ca c'est du film !<br /> et c'est amusant parce que mine de rien le thème est toujours d'actualité.<br /> <br /> <br />
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