Bonjour à toutes et tous !
Longue chronique cinéma, consacrée enfin à une nouveauté dvd, film sorti en 2009 attendu par nombre d’amateurs de SF, Moon, long métrage anglais indépendant tourné en maquette, comme au bon vieux temps !
Contrairement à mon habitude d’écrire des chroniques enthousiastes, je vais critiquer quelque peu ce film dont j‘attendais beaucoup, je vous en préviens pas avance. Même s’il m’a donné aussi du plaisir au visionnage ! Mais l’analyse de sa narration est vraiment intéressante je pense.
Pour une fois, vous lirez donc une chronique plutôt négative sur ce blog…
L’esthétique
Tout d’abord commençons par ce qui était très attendu, le décor du film ! De mon humble avis, c’est une superbe réussite esthétique ! Les choix sont clairs et assumés. L’intérieur de la base ressemble à s’y méprendre à ceux de la série télévisuelle Cosmos 99 par exemple, ou parfois aussi de Silent Running, autre film SF assez intéressant, réalisé par Douglas Trumbull en 1972, que j’ai déjà visionné.
Nous sommes donc de retour dans les années 70, avec les ordinateurs aux gros boutons, un robot compagnon de vie de l’unique occupant de la base lunaire, qui se déplace lentement, relié au plafond comme un outillage d’usine métallurgique. Aucune image numérique, aucun trucage ne sont présents, sinon des décors peints.
Toutes les scènes en extérieur sur la Lune sont également très bien réalisées, entièrement en maquette d’après les images et les bonus du dvd ! Seule la poussière dégagée par le passage des véhicules de maintenance a du être rajoutée ensuite en image de synthèse. Nous restons pleinement dans le style souhaité par Duncan Jones.
L’ambiance visuelle de Moon est donc franchement enthousiasmante pour un connaisseur de films SF, rafraichissante si l’on peut l’écrire, alors que déferlent sur les écrans tant de films perclus d’images de synthèse, parfois très réussies, la plupart du temps inutiles, grossièrement présentes pour parfois combler les vides scénaristiques…
La narration
Passons maintenant à ce qui fâche, l’histoire de Moon elle-même, censée justifier cet effort créatif de haut niveau… C’est bien là où le film m’a déçu par certains aspects.
Je résume rapidement l’action.
Un employé gère seul sur la Lune une unité d’extraction d’Hélium 3, carburant essentiel de la fusion nucléaire employée sur Terre comme source d‘énergie. En réalité, il s’agit d’un clone d’une durée de vie limitée de trois ans. Au terme de leur mission, il embarque dans ce qu’il croit être une navette et est éliminé, remplacé de nouveaux clones, qui dans le sous-sol de la base lunaire attendent d’être réveillés. Un accident fait que le clone suivant se retrouve en présence du clone précédent… Ils comprennent alors leur véritable nature. Echappant aux tueurs envoyés pour l’éliminer, l’un se sacrifie pour que l’autre parvienne à regagner la Terre pour y apporter la vérité sur le cynisme de la compagnie minière…
A la lecture du résumé de l’histoire, l’on peut se dire que le film est intéressant, pertinent même. Effectivement, la Lune est susceptible d’être riche en Hélium 3. L’idée d’une compagnie minière exploitant ces ressources, qui économise à tout prix sur les coûts, et donc le personnel, paraît crédible. La relation entre deux humains clonés est également susceptible cinématographiquement d’être passionnante !
Pourtant, à mon goût, tant durant le visionnage du film qu’après un moment de réflexion, la narration du film souffre de graves incohérences, voir même ne repose sur aucun fondement véritablement sérieux. Ce que nombre de critiques ou d’avis lus sur le web semblent ne pas ou peu percevoir, à mon grand étonnement je dois dire… Très réussie, j’insiste encore une fois sur ce point, l’esthétique du film subjugue au point de ne plus ressentir les défauts du scénario, rédhibitoires à mon avis pour faire de Moon un film véritablement abouti.
Pourquoi le clonage ?
Commençons en toute logique par le commencement !
Pourquoi donc cloner un employé lunaire ? La raison invoquée dans le film est que la compagnie minière qui exploite les ressources lunaires veut économiser sur le personnel. Soit.
Mais alors pourquoi seulement une durée de vie de 3 ans ? Pourquoi pas 10 ou 20 ans ? Pourquoi ne pas forcer du personnel à rester à vie ? Jamais il n’est dit également que cette technologie de clonage est peu coûteuse, répandue sur Terre, ce qui justifierait alors mieux son usage.
La raison de la construction d’une base lunaire est crédible, mais pas son personnel ! Et même à la limite, pourquoi un homme sur la Lune ? Un ensemble de robots oeuvrant ensemble, commandés quasiment en temps réel depuis la Terre, ferait tout aussi bien le travail ! De plus, en cas de soucis techniques majeurs sur les engins qui sillonnent la surface pour extraire l‘Hélium 3, un homme seul peut-il faire physiquement quoi que ce soit ? C’est invraisemblable…
D’ailleurs, en visionnant attentivement Moon, l’on s’aperçoit que le clone employé ne fait rien, sinon surveiller deux trois cadrans, se rendre sur les lieux d’un incident technique à l’extérieur. Il pourrait tout aussi bien ne pas être là, la base lunaire avec une assistance robotisé poussée fonctionnerait sans lui.
Mais alors, il est vrai qu’il n’y aurait plus de film…
Une base orbitant autour de Saturne ou de Pluton, très éloigné de la Terre aurait été plus crédible pour cette histoire de clones, le voyage étant très long, très coûteux, même avec un nouveau système moteur hypothétique. S’y faire succéder des générations de clones pourrait alors prendre un certain sens économique.
La lune n’est qu’à trois jours de voyage et encore, avec les moteurs actuels ! La distance est trop faible pour justifier il me semble cet argument d’économie de bout de chandelle…
Autre invraisemblance narrative finale, l’entreprise minière envoie un commando de tueur sur la Lune afin d’éliminer le clone de trop.
Là encore, résoudre le problème par l’élimination du clone de trop se justifie narrativement. Mais c’est la forme prise par cette élimination qui est ridicule ! Un énorme vaisseau alunit à côté de la base. Mais ce voyage coûte combien au juste, sinon une fortune pour une entreprise censée vouloir économiser chaque dollar ? Là encore un robot tueur incorporé à la base, un clone particulier chargé de tuer aurait été plus logique, plus efficace aussi en terme de suspens !
Le manque de réflexion sur la structure narrative est là encore flagrante…
L’idée de base du film est donc dès le départ confuse pour le spectateur, d’une grande naïveté, sans justification sociale crédible ! C’est tout de même gênant pour un film qui justement se veut très réaliste socialement, ancré dans le réel, notamment d‘abord par son esthétique…
Deuxième point d’importance vous vous en doutez, la rencontre puis la cohabitation entre le clone 1 et 2, qui là encore est m’est apparue parfois faible narrativement, voir quasiment à la limite du vraisemblable, malgré quelques bonnes idées.
Le clone 2, éveillé à la vie puisque le clone 1 est censé être mort dans un accident à l‘extérieur de la base lunaire, commence à avoir des visions... Il croit voir d’autres occupants dans la base…
Puis le clone 1 revient à la base. Et fatalement, les deux hommes se rencontrent…
Après réflexion, ces visions du Clone 2 sont seulement justifiées par l’extrême difficulté de mettre en scène, de raconter réellement une rencontre entre clones… Le scénariste-réalisateur Ducan Jones s’est là retrouvé face à un obstacle narratif très dur à franchir. Car comment filmer une situation inédite pour l’humain ?
Ces visions préparent le clone 2 à l’arrivée du clone 1. Mais en réalité elles permettent surtout au scénariste d’éluder cette fameuse première rencontre, puisque le clone 2 prend le clone 1 pour une vision !
Comme à plusieurs reprises dans Moon, l’histoire ne se déroule pas selon des logiques narratives solides, des logiques de personnages bien réfléchis, mais pour conforter le réalisateur dans ses désirs esthétiques, ou résoudre une faiblesse de scénario…
Ce qui n’est pas excusable à ce niveau de réalisation.
Surtout que la suite de cette rencontre capitale ne m’est pas apparue crédible, pas une seule seconde !
Trois minutes après avoir compris qu’ils étaient bien réels l’un pour l’autre, qu’ils étaient jumeaux, que cette situation est insolite, incompréhensible, ils jouent tous deux au ping-pong…
Sincèrement, vous vous voyez confronté à un autre vous-même, et vous mettre à faire une partie de pétanque au bout de trois minutes ? C’est là encore invraisemblable !!!
Logiquement, ils auraient été s’examiner à l’infirmerie, se serait méfiés, se serait mis autour d’une table pour recenser toutes les hypothèses, en serait peut-être même venu aux mains, que sais-je, mais certainement pas à jouer au ping-pong ! Cette scène aurait du avoir lieu plus tard, ou jamais…
Suite à cette rencontre bouleversante, le film aurait dû s’accélérer, virer de bord ! Mais non, il continue gentiment son bonhomme de chemin ! L’employé se retrouve confronté à son clone, mais cela n’a pas l’air de plus le bouleverser que cela…
Je crois peut-être deviner là une influence mal gérée, mal comprise. Certainement, Moon s’inspire par son calme, par le jeu retenu et sobre de Sam Rockwell qui interprète l’employé lunaire, de 2001, l’Odyssée de l’Espace.
Le seul problème, c’est que le jeu retenu des astronautes confrontés à l’ordinateur Hal se justifiait pleinement. Ils risquaient leur vie, étaient confronté à un défi technique. Ils luttaient contre un système technique défaillant, ce qui demande calme et rigueur intellectuel.
Alors que dans Moon, l’employé se trouve confronté à un défi humain, un autre lui-même ! Ce qui va plutôt avoir tendance à amener de la passion humaine, des sentiments !
Mais non, à part une crise de violence à propos d‘une maquette que poursuit inlassablement chaque clone, les clones 1 et 2 n‘ont pas de réactions humaines démonstratives. Ils restent stoïques…
Mais alors, Moon veut-il signifier là que des clones ne sont pas des humains à part entière, qu’ils ne réagissent pas comme vous et moi ? Possible, vraisemblable, pas idiot même !
Mais alors le scénario devient bancal, puisqu’au final les clones ont bel et bien des préoccupations et de sentiments humains. L’un se sacrifie pour l’autre, pour qu’il puisse aller sur Terre dénoncer leur triste situation.
De deux choses l’une. Ou ces clones sont humains, et tout le scénario doit en tenir compte, soit ils sont humains de manière incomplète, et là aussi le scénario doit être écrit en conséquence.
Les deux options sont toutes deux passionnantes, il ne s’agit pas de les juger par avance, simplement, il faut trancher pour l‘une ou l‘autre. Ce choix n’a pas été tranché, voir même réfléchi par Ducan Jones, et cela se ressent véritablement au visionnage du film.
Le brouillage des ondes
Troisième point défaillant du scénario, plus mineur il est vrai, le brouillage des messages vers et en provenance de la Terre, impérative il est vrai pour maintenir l’isolement des clones successifs, se fait au moyen de tours relais géantes entourant la base lunaire. Prétextant une panne du satellite lunaire de liaison, la compagnie minière les laisse sans images et sons provenant de la Terre, qui pourraient leur apprendre la vérité sur leur situation. Seule une liaison régulière permet au clone de parler avec sa fausse famille restée sur la planète bleue, ainsi qu‘aux responsables techniques de la base.
Ce brouillage est donc un élément important et pertinent du scénario, il n’y a là aucun doute ! Mais sa réalisation technique concrète relève encore une fois d’un délire complet, de l’invraisemblance ! Un brouillage au niveau des installations de communications à l’intérieur de la base aurait suffit !
Soyons logique. Le coût exorbitant de ces tours relais lunaires suffiraient vraisemblablement à payer plusieurs voyages aller-retour Terre-Lune pour un ou deux employés lunaires…
Moon nous propose donc une histoire justifiée par le cynisme financier des multinationales voulant économiser sur l‘humain, ce qui est très vraisemblable, mais qui entraîne des dépenses délirantes pour mener à bien ce plan de réduction des coûts… Cette illogisme narratif gâche quelque peu notre plaisir.
En réalité, si mon analyse n’est pas fausse, il me semble bien que ces tours relais, qui doivent bien faire vingt mètres de haut, n’ont été conçus que pour satisfaire le désir du réalisateur de filmer le plus possible la surface de la Lune et voir rouler des gros véhicules sous le clair de Terre…
C’est bien sûr possible de concevoir un scénario, une histoire à partir d’un lieu, d’une ambiance. C’est même conseillé ! Mais cela ne justifie en rien au final une telle absurdité technique, absolument pas crédible, et qui fait sourire au visionnage du film !
Pour résumer, il faut dépenser des dizaines de milliards de dollars dans ces tours gigantesques, dans l‘installation du sous-sol de la base abritant des dizaines de clones prêts à être réveillés, tout cela pour installer un unique clone au commande de la base lunaire, alors qu‘il suffit de laisser un groupe de robots faire le travail…
C’est invraisemblable.
Et si vous percevez, ne serait-ce qu’une seconde, ces invraisemblances durant le visionnage, Moon perd soudain de sa pertinence, devient abstrait au plus mauvais sens. Une histoire a besoin d’une réelle justification pour être crédible.
De belles scènes malgré tout
Le plus terrible est là. L’exercice d’un peu de bon sens détruit immédiatement l’idée de base du film. Il suffit comme je l’ai fait d’y réfléchir quelques minutes…
Et cela est terrible pour le scénariste-réalisateur de Moon… Comment est-ce possible de consacrer des années de sa vie à faire un film de SF aussi faible sur le fond ? Avec aussi peu de réflexion intellectuelle, de souci de faire original, de respecter un minium de crédibilité du comportement humain, de s’appuyer sur des hypothèses cartésiennes et non fantasmatiques, voir carrément des clichés ?
À contrario, il y a des moments du film forts et bien écrits qui concernent directement le clonage cette fois, et qui vient tempérer mon jugement tout de même assez sévère sur le scénario.
Une fois une tour de brouillage détruite, les communications avec la Terre rétablies, l’un des clones tente de contacter sa famille sur Terre.
Mais il tombe sur une jeune femme, qui n’est pas sa femme. Sa petite fille est devenue adulte. Et en vérité, l’original de tous ces clones lunaires est décédé… Cette révélation est vraiment troublante, plonge les clones dans un abime supplémentaire de solitude, de frustration. Même leur vie de famille leur est volée, complètement artificielle, fausse…
À mon goût, c’est certainement la scène la plus réussi du film par son aspect humain.
L’entraide entre les deux clones dégage également un sentiment fort au final du film. L’un se sacrifie pour que l’autre puisse aller sur Terre, et échapper aux tueurs envoyés par la compagnie minière. Peu importe finalement qui se sacrifie ! L’un est l’autre, l’autre est l’un… La logique narrative me semble là bien mise en place, cohérente avec tout le film.
La fin du film
La toute fin du film, une fois le clone ayant réussi à s’échapper de la base lunaire par le système d’envoi de l’Hélium 3, suggère que son arrivée sur Terre est couronné de succès. Les agissements de la compagnie minière sont mis sur la place publique et réprouvées. Une fin optimiste donc.
Qui me laisse là encore sur un doute profond sur la structure narrative du film. Le succès de l’évasion du clone ne me gêne nullement ! Mais il y avait bien plus fort à faire, plus cynique, moins manichéen aussi paradoxalement…
Et si sur Terre, tout le monde était au courant ? Si tout le monde s’en fichait de ces clones ? Si le clonage à but économique était monnaie courante ? Si la compagnie minière n’agissait pas en secret, mais dans le cadre d’une société terrienne qui admet ces pratiques peu ragoûtantes, sous le prétexte sans doute de sauvegarder des vies humaines, des vraies naturellement..?
La toute fin du film nous aurait fait oublier je crois les faiblesses de scénario ! L’envie du scénariste-réalisateur de dénoncer le clonage humain aurait alors pris une ampleur tout autre !
Mais non, là encore, la faiblesse narrative de Moon est criante… Nombre d’épisodes de La Quatrième dimension, d’Au-delà du réel, de X-files lui sont bien supérieurs en qualité d’histoire !
Conclusion
Duncan Jones a réalisé visuellement un film des années 70 avec un scénario des années 70, voir même plus ancien encore… Sans vouloir assimiler par ailleurs les bons auteurs de l’époque à la piètre qualité du scénario de Moon !
Il y a là un souci structurel profond. Nous sommes au 21ème siècle, avec 40 années d’écriture SF supplémentaires, tant livresque que cinématographique. Il faut bien en tenir compte, d’une manière où d’une autre ! Le rejet des images de synthèse, effort louable, ne peut aucunement justifier le rejet de la modernité du récit, de sa vraisemblance tout simplement ! Pelot, Simmons, Banks, Reynolds, Brusselo sont passés par là, il me semble, et tant d’autres ! Sans parler de Dick bien sûr, si présent au cinéma.
Les choix ne sont guères nombreux…
Soit vous filmez une histoire contemporaine, saine au niveau narrative, avec un décor à l’ancienne.
Soit vous filmez une histoire archaïque, très traditionnelle, avec une esthétique novatrice.
Soit alors, plus audacieux encore, vous filmez une histoire novatrice avec une esthétique novatrice.
Soit vous vous fichez de cela, et vous vous situez ailleurs, dans une complète autonomie !!! Ce qui est sans doute le plus difficile à réaliser…
Moon n’est pour moi dans aucune de ces catégories…
Je trouve cet état de fait assez inquiétant… Non que je sois contre la poésie d’une idée, d’un fantasme, le mélange du réalisme d’un décor et une histoire démentielle, invraisemblable ! Mais Moon se présente comme un film visuellement et socialement hyper réaliste. Il devrait alors en assumer les exigences scénaristiques de réalisme social et humain. Le réalisme visuel ne peut suffire à faire un bon film crédible narrativement.
Je sais que la critique est facile, je n’ai pas encore écrit de scénario de long métrage de SF, n‘est-ce pas… Malgré tout, Moon est, me semble-t-il, une occasion gâchée de faire un film référence, un film qui marque son époque, qui éclaire les consciences sur les avancées des biotechnologies ! Les films SF indépendants, ou éloignés du pur Entertainment sont suffisamment rares…
Plusieurs films récents de SF sont bien mieux écrits, Bienvenu à Gattaca d’Andrew Nicols, Thomas est amoureux de Pierre-Paul Renders, Wonderful days dessin animé du Sud-Coréen Kim Moon-Saeng, voir même Clones de Jonathan Mostow, film hollywoodien qui évoque d’ailleurs plus la robotisation, le titre étant trompeur. Tous sont basés sur une hypothèse de base crédible, réellement terrifiante, avec des comportements humains réellement humains…
Alors que Duncan Jones se cantonne à un moralisme superficiel, que je pourrai cruellement résumer en deux axiomes, Le clonage humain, c’est pas bien, il faut le dénoncer, et Les multinationales sont très méchantes…
Ce n’est pas avec cela que l’on conçoit une histoire susceptible de tenir debout, qui va véritablement entrer dans la tête du spectateur pour ne plus en ressortir ! Sans vouloir être trop définitif, il me semble qu’en Science Fiction, nous ne sommes pas dans une action consolatrice, mais dans la volonté de comprendre le monde, de l’affronter en face. Duncan Jones ne l’a visiblement pas compris, ou n‘en a même pas conscience.
Moon reste donc à mon sens un film de décorateur, pas de scénariste, sans que le mot décorateur soit péjoratif !
L’indépendance supposée d’un film vis-à-vis d’un cinéma purement commercial n’est pas tout. Il faut aussi ne pas se contenter de la première idée venue, ce que confirme Duncan Jones lui-même dans les bonus du dvd. Il a eu envie de raconter une histoire de clonage humain, de filmer une base lunaire, il a écrit le scénario vers 20, 25 ans, a mis 10 ans à monter matériellement son film, sans plus réfléchir visiblement à ce qu‘il avait à dire, à sa responsabilité d‘avoir l‘opportunité de faire un film de SF.
L’idéologie de l’auteur solitaire, du réalisateur qui n’a besoin de personne pour créer un chef d’œuvre est pour moi véritablement à jeter à la poubelle… Les producteurs de Moon auraient tout simplement du exiger de Duncan Jones qu’il fasse réécrire son scénario par des auteurs de SF, des scénaristes chevronnés, susceptibles d’en sentir les faiblesses structurelles évidentes.
Écrire une histoire de haut niveau n’est pas à la portée du premier venu. Faire de l’image, ce que Duncan Jones sait faire avec talent, n’est pas faire une histoire. Chacun sa compétence, qui toutes fusionnées donneront alors un film formidable.
Elargir le sujet
Pour élargir cette chronique j’aimerais revenir sur le sujet même du film, le clonage. Ce n’est que ma sensation propre, elle est donc contestable, mais je ressens intuitivement le clonage humain comme en réalité une arlésienne en SF, quelque chose de bien peu intéressant sur quoi écrire, car sans intérêt réel.
À quoi bon cloner une armée ? Il suffit de fabriquer un ennemi à une population. À quoi bon cloner des employés, des esclaves ? Il suffit de les pressurer, voir de les affamer pour qu’ils accomplissent n’importe quelle tâche.
À la limite, le clonage individuel, en de rare occasion… Et encore, une chirurgie esthétique, un androïde peut suffire à créer des doubles…
Le clonage est presque un faux sujet, empreint de naïveté, finalement assez daté, très difficile à transformer en récit original, doté de sa propre autonomie ! Alors que la sélection, l’innovation génétique ou robotique constituent un vrai sujet, très contemporain, et d’avenir.
Les années 1990 ont vu les premiers animaux clonés, les premières réalisations spectaculaires, le début commercial des premiers clones, notamment bovins ou de chevaux de courses reproducteurs.
Du fantasme, cette technique, très mal maîtrisée à vrai dire, est passée à une réalité assez décevante. Le clonage a perdu ce qui faisait son mystère, son aura terrifiant. Le clonage animal n’est plus un repoussoir ultime ou un espoir, c’est devenu une technique bio-industrielle contestée, pas très intéressante, dangereuse pour la diversité biologique.
Dans le futur, des êtres humains modifiés sont une quasi certitude. Des êtres humains clonés restent un fantasme, une possibilité bien peu intéressante…
En réalité, il convient peut-être de ne pas d’écrire une histoire sur le clonage, mais sur la ou les raisons même qui justifieraient l’usage du clonage ! C’est là où devrait se porter l’effort, dans la relation étroite entre cause et effet.
Moon se concentre surtout sur l’effet, ce qui explique à mon avis la déception qu’il m’a procuré, sur le plan narratif.
À la réflexion, il me semble également que nombre de films, de livres semblent uniquement se préoccuper de clonage humain. Certes, nous sommes forcément intéressé à l’avenir de notre propre espèce, c’est bien compréhensible ! Pourtant, il y aurait tant de choses passionnantes narrativement à cloner, des arbres aux baleines et autres bêtes, en passant par les machines, les objets bien sûr, ce qui est déjà arrivé avec l’industrialisation ! Sans oublier les sentiments, les pensées, d‘autres choses encore…
Se contenter du seul clonage humain est finalement très réducteur… Chercher d’autres sujets de clonage et sans doute déjà une première démarche à faire, avant l’écriture d’un récit sur ce sujet. Quitte à revenir à l’humain au bout de cette recherche, mais avec alors de nouvelles idées…
Tout un pan de la fabrication d’un film, la narration, n’est donc pour moi pas là dans Moon, à l‘esthétique par contre fort réjouissante.
Et c’est bien dommage pour nous tous…
Gulzar