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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 09:10

Bonjour à toutes et à tous.

 

Aujourd'hui, pas de citation, mais une petite interview de René Barjavel, datant de 1974, apparemment pour la préface d'une réédition de Ravage, son premier roman de 1943, un grand éveil à la SF pour moi.

 

Il paraît, René Barjavel, que, lorsque vous poursuiviez vos études, vous étiez toujours premier en français. Est-ce ce qui vous a amené "tout doucement" à écrire ou avez-vous eu la "révélation " ?

La "révélation", je l'ai eue en classe de quatrième, quand mon professeur de français,après avoir lu en classe ma "composition française", me dit que j'étais "intelligent". Ce fut une grande surprise car jusqu'alors je me traînais dans les derniers de la classe et dans un morne ennui... Je crois qu'il y a dans mon cas une grande part d'hérédité : mon nom, en provençal, signifie bavard et le premier de mes aïeux qu'on nomma Barjavel devait être un homme qui n'arrêtait pas de raconter des histoires... Le premier jour où j'entrai au Progrés de l'Allier, à dix-neuf ans, comme rédacteur à tout faire, j'écrivis une "chronique". Un demi-siècle (presque !) après, je continue...


Ravage est votre premier livre. Il a eu tout de suite un succès foudroyant. Est-ce que cela ne vous a pas un peu tourné la tête de connaître, à trente et un ans, le vertige des gros tirages ?

Tourné la tête ? Non. Mais une joie, une joie !... Mitigée d'ailleurs d'un certain étonnement, assez semblable à celui que j'éprouvai en classe de quatrième quand fut lue ma composition. Cet étonnement, je n'en suis pas encore revenu... Je ne suis pas rassuré... Cet accord avec le public me semble fragile, miraculeux, susceptible d'être remis en question à la parution de chaque livre, de chaque article. C'est pourquoi je "m'applique" tant à ce que je fais, comme mon père s'appliquait à son pain pour ne pas rater sa fournée. D'abord parce qu'on doit bien faire ce qu'on fait, pour sa propre joie. Ensuite pour la joie de ceux qui mangeront le pain. Enfin pour conserver leur fidélité. Et pour continuer de gagner sa croûte... Aujourd'hui, un nouveau livre, c'est important, certes, mais plus jamais l'émotion du premier...


La catastrophe qui se produit dans le roman a-t-elle été inspirée par les événements de l'époque ?

En 1942, en effet, on était "au plein" de la Seconde Guerre mondiale. Plus que la guerre qui était alors en cours, c'est le chemin pris par notre civilisation qui m'a fait prévoir la catastrophe de Ravage. Si je l'écrivais aujourd'hui les péripéties en seraient peut-être différentes, mais le ton général ne changerait pas. Et je situerais le désastre beaucoup plus près de nous...


On peut, à la lecture, avoir 1'impression que les propos tenus par l'empereur noir Robinson - et l'offensive qui les a suivis - peuvent être assimilés au comportement de Hitler avant le (et au moment du) déclenchement du dernier grand conflit mondial. Est-ce que cette assimilation a été volontaire de votre part ?

Oui, cette silhouette lointaine et menaçante de l'empereur noir voulait rappeler les terribles mois de 1938 (Munich) et 1939, où Hitler faisait peser sur l'Europe le poids effrayant de sa voix. Il n'y avait pas encore la télé et on entendait cette voix sauvage, à laquelle on ne comprenait rien, qui tombait du ciel dans les haut-parleurs- ceux qui n'avaient pas de poste allaient écouter ses discours au café ou parfois même sur la place de la mairie - comme celle d'un démon noir qui faisait le bruit de la haine et de la mort. Si bien que la guerre nous apporta, le soulagement. On se dit : "Enfin nous allons en finir avec ce fou !" Nous étions persuadés que nous serions de retour dans trois semaines. On nous avait tellement dit qu'il n'avait que des tanks en carton...


Ravage tient une place de choix parmi les ouvrages de science-fiction. Vous en avez écrit d'autres de la même veine, notamment la Nuit des temps et le Grand Secret. Qu'est-ce qui vous a incité à vous lancer dans ce qu'on désigne maintenant par un sigle, la SF comme on le fait d'ailleurs aussi pour la bande desssinée, la BD ?

Le désir d'échapper au traditionnel roman d'analyse psychologique. Aux "états d'âme". A la "littérature''. Les drames, les comédies, les tragédies même, personnelles, familiales, nous les vivons, nous sommes plongés dedans chaque jour, saturés, submergés, glouglou... Je n'ai aucune envie de les retrouver dans les livres, ni ceux des autres ni les miens. La SF permet d'ouvrir des fenêtres vers tous les horizons du temps et de l'espace et de s'intéresser à de vastes problèmes qui concernent nonplus tel ou tel couple ou trio ou quatuor, dans ses exercices toujours recommencés, mais l'espèce humaine tout entière. C'est le sort des hommes qui m'intéresse, non celui d'un seul.


Beaucoup de gens considèrent encore la science-fiction comme une littérature de deuxième zone ; le roman policier est aussi souvent victime de la discrimination qui classe à un niveau inférieur cette "paralittérature". Que pensez-vous de ce jugement assez répandu ?

La SF est méprisée en France par les petites chapelles littéraires confites dans l'autosatisfaction et le rare fumet des faibles tirages. Mais le grand public va vers elle de plus en plus car elle lui apporte autre chose. Malheureusement, il y a en SF, comme dans la littérature traditionnelle, une grande majorité de mauvais écrivains. Et c'est sur eux que les dénigreurs jugent tout l'ensemble. Mais il y a aussi des génies. Je pense à un grand nombre d'auteurs américains, ou à Stanislas Lem ou a de rares Soviétiques. La SF n'est pas un genre littéraire. C'est une nouvelle littérature, qui comprend tous les genres : satirique, lyrique, psychologique, poétique, et surtout épique. Asimov et Van Vogt en particulier ont ressuscité l'épopée, morte depuis le Cycle d'Arthur. C'est toujours par l'épopée qu'une littérature commence.


Lorsque vous décrivez la façon de vivre des gens de 2052, leur habitat, leur alimentation, leurs transports, vous avez certainement fait oeuvre d'imagination, mais peut-être aussi vous êtes-vous appuyé sur les progrès prévisibles de la science. Quelles sont les parts respectives de la pure invention et de la futurologie raisonnable ?

Je prends grand soin de ne rien écrire qui ne soit un jour vraisemblablement réalisable si on suit le strict sentier de la logique. Mais la science nous étonne toujours. Elle va plus vite que nous, et sur des sentiers imprévisibles. Toujours l'inattendu arrive. Aucun auteur de SF n'avait prévu la lumière cohérente et ses conséquences : le laser et l'hologramme. Mais ils en font un grand usage depuis... Je me tiens au courant - autant qu'il est possible - des découvertes scientifiques, et celles que j'invente aujourd'hui seront certainement réalisées un jour, car elles restent dans le domaine du possible. Sauf peut-être le scaphandre du temps du Voyageur imprudent.


Ravage est dédié à vos grands-pères paysans ; vous avez ainsi écrit Tarendol, un roman auquel vous avez donné pour titre le nom du village dont vos ancêtres sont originaires ; les rescapés de la catastrophe décrite dans Ravage trouvent finalement refuge dans la vallée de l'Aigues. Vous ressentez donc une tendresse certaine pour votre pays natal. Y restez-vous très attaché non seulement sentimentalemeni, mais aussi matériellement ?

Je n'y ai pas gardé un mètre carré de terre, pas un pied d'olivier. J'y retourne rarement. Ce pays dont je parle est un pays dont je me souviens. C'est un morceau du passé. On ne peut pas le retrouver. Le présent l'a couvert de ciment et a remplacé les oliviers par des vignes et des abricotiers. Peut-être irai-je quand même y mourir.


Vous avez adapté pour le cinéma le Petit Monde de Don Camillo, et depuis on dit de vous que vous êtes l'homme qui fait gagner de l'argent au cinéma. Est-ce que maintenant votre travail de scénariste, d'adaptateur; de dialoguiste vous absorbe plus que celui d'écrivain, de romancier ?

Pendant vingt ans, j'ai travaillé pour le cinéma. J'ai pu heureusement m'y arracher, grâce au succès de mes derniers romans. Le métier d'auteur de cinéma est un métier d'esclave : il faut faire plaisir à tout le monde, réalisateur, producteur, distributeur, acteurs, sauf à soi-même... Je suis revenu avec bonheur à mon activité de romancier. Il n'y a pas au monde de créateur plus libre qu'un romancier devant son papier blanc, en France, aujourd'hui. Pourvu que ça dure...


Une dernière question, René Barjavel. Nous avons parlé de l'écrivain et de l'homme de cinéma. Vous êtes aussi journaliste, donnant régulièrement des chroniques à diverses publications, vous travaillez aussi pour la radio et la télévision. Comment pouvez-vous mener de front toutes ces activités ? Avez-vous encore des loisirs ?

NON...

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