Bonjour à toutes et à tous.
Petite réflexion aujourd'hui sur certains liens qu'entretiennent les humains avec la Nature, la vraie, l'impétueuse, pas les jardins fleuris ou se promènent des chiens dont les races n'existaient pas il y a encore deux siècles, ou la campagne envahie de millions de vaches.
Ce sujet est bien sûr important en SF, sans pour autant se limiter à la situation actuelle de disparition rapide et massif d'espèces, en tout cas des graves menaces pesant sur l'écosystème.
Mais je ne vais pas faire de prospective, plutôt revenir sur quelques comportements indiquant une déconnection tout de même assez profonde avec la Nature de la part d'humains pris dans un rêve de domination ou même de disparition de la Nature au profit d'un vague paysage bien propret, hygiénique et sans danger.
Inventer de nouveaux rapports à la Nature ou pousser à l'extrême ceux existants demandent de bien ressentir les diverses situations actuelles, du moins chez les citadins, qu'ils habitent en ville ou à la campagne ; citadin étant là plus un ensemble de concepts plus ou moins idéologiques ou publicitaires plutôt qu'une localisation précise. De plus la mégalopole se propage géographiquement, tend à englober les petites villes, qui elles-mêmes envahissent la campagne, la Nature.
A peine un an en arrière, une rivière a débordé en France et fait plus d'une dizaine de morts. Fréquemment, des rivières débordent, heureusement sans faire de morts, mais envahissent campings, maisons, champs, causant nombre de dégâts matériels...
Il s'en suit de sempiternels plaintes et cris, attaques en règle contre les municipalités ayant autorisé les permis de construction sous la pression de la population elle-même, les assurances qui tardent à rembourser, l'Etat qui rechigne à déclarer l'état de catastrophe naturel.
Le seul souci est qu'il est dans la normale qu'une rivière déborde. Nous n'avons pas là à faire à un ouragan imprévu, une chute de météorites. Croire à une législation plutôt qu'aux forces de la Nature est troublant... Soit il ne faut pas construire à côté d'une rivière, soit il faut construire en conséquence, facile à reconstruire ou en hauteur, protégé de l'eau pour le moins ; soit encore il faut accepter les dégâts et reconstruire tout les cinquante ans.
Nos lointains ancêtres qui vivaient sur les rives de fleuves ou de lac construisaient sur pilotis. L'on se demande d'où pouvait bien venir cette idée saugrenue qui sauvait leur habitations...
Pour en avoir parfois discuté, lorsque vous expliquez à des gens concernés qu'il faudrait bâtir sur des pilotis, modernes en béton armé par exemple, avec un escalier métallique, ils ne vous comprennent pas, trouve l'idée à la limite séduisante mais irréaliste, impossible à mettre en oeuvre. Cette architecture, la seule adaptée réellement à une vie au bord d'une eau susceptible de prendre rapidement trois à quatre mètres de hauteur, n'a aucun sens pour eux. Aucun. Ni pour les particuliers, les institutions publiques, les architectes.
Le nombre de bâtiments sur pilotis en France doit être proche de zéro, alors que le pays possède des dizaines de milliers de kilomètres de côte fleuviales et de bords de rivières.
C'est tout à fait fascinant à observer. La rationnalité est écrasée sous un flot de refus de bâtir sans risque, de peur de revenir à la vie sauvage, de voir s'écrouler cette croyance surpuissante en la modernité et l'innovation technologique. La foi Catholique à côté est une kermesse...
L'architecture ne peut se plier aux lois de la Nature, elle les défie fièrement, avec des viaducs franchissant le vide, les buildings qui s'approchent du kilomètre de hauteur.
Sauf qu'au bord d'une rivière ou d'un fleuve nous ne sommes pas à Dubaï ou Chicago. Nous sommes juste dans le souci de ne pas perdre sa maison, son usine...
Nous devrions être dans le raisonnable, nous sombrons dans la démence. Rien ne nous arrivera, jamais. Le fleuve, la rivière se soumettra.
Autre souvenir douloureux, durant une tempête sur l'Atlantique, de nombreux villages ont été envahis par les flots en furie. Une trentaine de morts ont été à déplorer. Les villages de bord de mer ont bien sûr été touchés, mais malgré d'importants dégâts matériels ont plutôt bien résisté.
Par contre certains lotissements ont été littéralement arrachés à la terre. L'on a appris par la suite qu'ils avaient été construits sous le niveau de la mer, à quelques centaines de mètres de l'Océan...
La seule question qui vaille est celle-ci ; comment est-ce possible de bâtir, de payer et d'habiter une maison au bord de la côte Atlantique en dessous du niveau de la mer ? C'est la certitude de perdre un jour ou l'autre la maison, une déraison, une antithèse de toute construction de bord de mer, où il faut soit s'élever, soit construire en pierre et se barricader.
De plus ces bâtisses avaient tout du lotissement banal, sans aucune caractéristique pour lutter contre un envahissement des eaux.
Alors bien sûr, il y avait des digues. Dont d'ailleurs les travaux de réfection et surtout d'élévation d'un ou deux mètres prenaient du retard... Là encore, il est sidérant de vouloir construire des digues pour des habitations sans utilité vitale avec l'argent public, alors qu'il aurait évident de ne pas construire à cet endroit sous le niveau de la mer mais plus en arrière dans les terres.
La digue ne sert pas qu'à être un rempart physique, parfois d'ailleurs utile, mais procure aussi ce doux sentiment d'être à l'abri. A l'abri de rien, sous la menace constante de leur abandon par les autorités qui n'y voit là que dépenses inutiles pour une hypothétique catastrophe qui ne viendra que très tard, un jour prochain... Les mêmes gens envahis par les flots, ayant eu des morts dans leur famille, qui réclamaient des travaux sur les digues sont les mêmes qui ne veulent pas payer plus d'impôts, qui souhaitent que d'autres les protègent de leur irresponsabilité.
Leur droit à vivre où ils veulent malgré un danger évident doit être pris en charge par la collectivité, les assurances. L'individu est là clairement plus important que la collectivité.
La fameuse liberté individuelle implique donc que l'irrationalité l'emporte sur la raison. Une communauté organisée du 18ème siècle n'aurait tout bonnement jamais construit à un tel endroit...
Nous sommes là dans la même situation que ces sportifs qui pratiquent le hors-piste en haute-montagne, activité totalement sans objet, et réclament tous les moyens publics pour qu'on viennent les sauver en cas d'avalanche ou de blessures. D'ailleurs l'Etat et les Régions songent désormais à leurs faire payer une partie des frais...
Le prospectus de vente, le sceau de la légalité, le doux rêve d'être propriétaire au bord de mer, de devenir l'égal du bourgeois pour des gens aux revenus modestes l'ont emporté sur toute prudence.
Ce n'est pas la Nature qui a tué ces pauvres gens, c'est leur inadéquation au milieu naturel où ils prétendaient vivre, sans en tirer un seul avantage matériel d'ailleurs, sinon la vague satisfaction d'avoir quelque chose que d'autres n'avaient pas, être à trois pas de la côte, comme les gens riches qui y ont des villas..
Ils auraient accepter de faire un kilomètre à pied ou en vélo pour se rendre à la plage, ils seraient encore vivants.
Clairement aussi, la confusion est quasi totale entre leur propre vie quotidienne, leur environnement local immédiat où la technologie devrait sagement composer avec la Nature, et les grandes et spectaculaires réalisations techniques de haute volée que la population admirent à la télévision, que l'espace médiatique met constamment en avant, tels des exploits sportifs.
L'idéologie de maîtrise de la Nature et ses réalisations concrêtes ne sont pas applicables en toute circonstance. Les sinistrés croyaient habiter des buildings qui résistent aux vents, ils vivaient dans des maisons dont les toits s'envolent...
La vision de la technologie de la plupart de la population est horizontale, fluide. Les gens croient que la technologie se répand uniformément, qu'elle s'applique partout de manière uniforme, alors qu'il n'en est rien. La géographie, la métérologie sont toutes puissantes. Mais admettre cette puissance, c'est renoncer à la conquête, à l'orgueil pour une vie plus modeste, plus en symbiose avec la Nature.
Et cela est impossible dans une société dominée par la technosicence au service servile des puissances économiques, dispensatrices de bonheur sur Terre et bientôt dans les étoiles, dans un monde bientôt sans politique, inutile puisque phénomène collectif.
Pour les populations qui vivent depuis longtemps au pied de dangereux voir mortels volcans, la situation est différente. Les terres sont très fertiles grâce au cendres volcaniques et ont attiré à juste titre des générations d epaysans, avant que ne naissent des cités sur leurs flancs. C'est le cas de Naples par exemple avec le menaçant Vésuve qui engloutira un jour prochaine la ville, impossible à évacuer.
Le danger est là compensé, justifié par un acquis favorisant une meilleure vie. Il ne s'agit plus là de pur égoïsme individuel mais bien d'un enjeu collectif. Le sujet demanderait donc une autre chronique.
A partir de ces deux exemples bien tristes, l'on peut commencer à bâtir des récits SF portant sur la relation avec la Nature. Soit la technologie l'emportera sur les forces de la Nature, le rêve publicitaire d'une Humanité triomphante se réalisera alors. Soit les forces naturelles continueront inlassablement à balayer de la surface de la planète les crédules crachant avec mépris dans les rivières paisibles, pour un moment encore.
Plus sûrement, nous n'en aurons pas fini avec cette relation quelque peu déconfite avec la Nature...
Gulzar