Bonsoir à toutes et tous !
Comme promis, j'évoque ce soir un livre que l'on ne présente plus, Fahrenheit 451, de Ray Bradbury.
A quoi bon, me direz-vous ? Je suppose que vous qui visitez mon blog, vous l'avez déjà lu !
Certes. Mais il se trouve que c'est l'une de mes références fondamentales, pas tant d'ailleurs dans le thème et l'écriture que dans la forme du récit.
Je l'offre en cadeau, je le relis tous les dix ans, j'ai déjà vu deux fois le film magnifique qu'en a tiré François Truffaut, j'y reviendrai à la fin de ma page !
Avec l'oeuvre de Verne, Asimov, Barjavel, c'est ce livre qui m'a sans doute donné envie d'écrire de la SF, dès le collège.
En effet, par rapport à bien des romans actuels, le livre de Bradbury a une énorme qualité à mes yeux, moi qui voudrais tant toucher un large public, sans pour autant écrire n'importe quoi, bien entendu...
Son livre est court.
Et c'est d'un bonheur absolu. Pas de pages en trop, de rebondissements inutiles, de technologies sans utilité pour le récit. L'auteur a une histoire a raconter, il la raconte, et c'est tout.
D'ailleurs, d'une manière générale, beaucoup de romans des années 40, 50 sont plutôt courts, en tous cas ne tournent pas au Space Opéra à tout prix, ne comportent pas de suite.
Jamais je ne contesterai l'utilité de la longueur pour un récit par principe, cela serait absurde. Elle peut faire partie intégrante de la trame narrative, et alors donner du plaisir au lecteur. Fondation a besoin de 4, 5 volumes, Dune aussi, la trilogie martienne de K.S. Robinson se justifie pleinement par le fond même !
Malgré tout, même si je suis très loin de lire tout ce qui sort, je ressens comme un malaise parfois. La longueur semble parfois là pour vendre du papier, une sensation physique liée à une collection, une sorte de respectabilité forcée de l'auteur.
Je suis un grand auteur car j'écris de gros livres...
C'est très naïf il me semble. Seul la fusion optimal entre fond du récit et taille du récit importe. Même s'il faut composer avec des exigences d'éditeurs, qui ne sont pas forcément non plus absurdes !
Mais surtout, cela éloigne bon nombre de lectrices et lecteurs si le récit est perdu dans un flot d'écriture...
Une idée simple, universelle, nécessite un livre simple.
Imaginez un seul instant Fahrenheit 451 en 500 pages... C'est une aberration, et Bradbury en avait conscience je crois. Même si le style de récit, le goût de l'auteur le pousse à accumuler des détails, il reste possible de le faire sobrement, sans détruire l'universalité du récit, sans pousser trop loin en nombre de pages.
Je crois également qu'il est impossible d'adhérer à un livre si l'auteur comme le lecteur ne peut le résumer d'une phrase, voir deux.
Essayons pour Fahrenheit 451 !
Dans une société fascisante, les pompiers sont chargés de brûler les livres interdits. L'un d'eux pourtant se met à les lire, et rejoindra la résistance...
Essayons maintenant avec un livre d'Analstair Reynolds ! je n'y arriverai pas... L'un de mes correcteurs m'a forcé à en lire un, et nous n'avons guère pu en discuter, tant le récit est complexe, fouillé, ardu.
Le désavantage fondamental de ce genre de récit très complexe est que le lecteur ne peut même pas en parler avec autrui, ou alors il faut l'avoir lu en même temps...
Le livre, le récit perd alors sa capacité d'être un élément de communication entre lecteurs, entre individus.
Et c'est dommage je trouve. Je n'aime pas me sentir seul avec un livre. J'aime l'idée de pouvoir en parler !
Et peu importe si le sujet est plus ardu scientifiquement. C'est vraiment une démarche relationnelle très différente avec le lecteur !
Ce n'est pas du bas marketing, mais l'auteur doit savoir s'il s'adresse d'abord à des passionné(e)s, quitte à ne pas être universel(le), et à l'assumer, ou bien s'il tend vers le conte, c'est à dire une base narrative claire et universelle, avec une trame peut-être complexe, mais qui sera au service totalement de l'histoire.
Revenons à Fahrenheit 451.
La clé la plus importante du succès, de l'impact que possède ce livre sur toutes les générations, c'est bien entendu le choix des pompiers pour s'acquitter de cette tâche dictatoriale, le choix du livre comme victime expiatoire.
Vous me direz, c'est évident ! Il y a eu les autodafés de livres récurrents dans l'Histoire des religions ou des dictatures politiques, tel le nazisme en Europe. Et le fait que ce soit les pompiers qui opèrent est d'une ironie cinglante !
Mais ce n'est pas évident du tout de concevoir une telle trame narrative pour des auteurs, dont je suis ! Ne le croyez pas ! Débordant d'imagination, nous n'avons qu'une envie, inventer, inventer, inventer !
Il n'y aurait rien de scandaleux pour Bradbury à avoir inventé par exemple une brigade anti-livres ! Son récit en serait tout aussi intéressant dans le fond.
Mais par contre, le côté terrifiant d'avoir dépravé un métier disparaîtrait... De plus, les pompiers sont des gens unanimement reconnus pour leur courage physique, leur intégrité dans tous les pays.
C'est donc terrible de les voir basculer dans la répression. On voudrait tout du long continuer à les aimer, mais l'on ne peut pas... Montag le rebelle finira par racheter sa corporation, mais de si peu...
Trop d'imagination tue l'imagination. Peut surtout tuer la morale interne au récit par trop d'éloignement du monde connu par les lecteurs.
La fin aussi est magnifique, terrible et belle à la fois, sans espoir, et pleine d'espoir. Ce n'est pas la technologie, la science qui aidera à vaincre, mais la mémoire des êtres humains. La parole remplacera le livre.
C'est une magnifique parabole sur la place du livre.
L'on sent aujourd'hui une grande réticence vis à vis du livre numérique, pas encore totalement au point, mais cela ne serait tarder... Il ferait disparaître le livre papier.
Mais c'est vite oublier que le livre papier à fait disparaître la tradition de la transmission orale millénaire..!
Fahrenheit 451 nous rappelle à toutes et tous une vérité. le livre papier n'est rien d'autre qu'un support physique, certes très agréable.
Mais il n'y a pas lieu de faire de lui une référence infranchissable, ultime.
D'autres formes physiques du récit apparaissent, apparaîtront dans le futur. Ne pas les accepter pourrait se révéler peut-être fatal...
Un petit mot sur le film de François Truffaut ! Je vais être très rarement vindicatif sur ce blog, mais je dois dire qu'entendre parler certains critiques de cinéma me met hors de moi !
Tout d'abord, ce film est systématiquement occulté lors d'articles, de commémoration de Truffaut.
J'ai eu la chance de pouvoir le voir en salle, c'est un vrai bonheur !
Pourtant j'ai entendu il y a quelques années un critique dire, je cite, "François Truffaut cette année là est allé s'amuser en Angleterre à faire un film de Science-Fiction !".
François Truffaut ne s'amuse pas, cher Monsieur, il crée ! Et s'il est allé tourner en Angleterre, c'est que personne, absolument personne ne voulait financer son film en France ! Un pur chef d'oeuvre, chaque plan est nécessaire. De plus, il a eu l'intelligence d'enlever du récit le chien policier mécanique, pas indispensable, et dur à mettre en image par effets spéciaux.
Vraiment, même si vous connaissez par coeur le roman, voyez ce film si par mégarde vous l'avez raté ! Il mêle la sensibité, disons européenne, à l'individu à la rigueur de l'image anglo-saxonne.
Avec 2001, l'Odyssée de l'Espace, c'est vraiment mon film préféré d'Anticipation. Même si Bienvenu à Gattaca n'est pas très loin...
Lorsque j'aurai terminé Le vagabond de Fritz Leiber, je vous en parlerai ! Il me permettra surtout d'évoquer la notion pour moi perverse d'efficacité du récit...
Gulzar