Bonjour à toutes et à tous.
Chronique sur le roman de Greg Bear, La musique du sang, datant de 1985, qui évoque "la fabrication" de cellules humaines intelligentes, qui décident de ne pas en rester là et réinvente l'humanité, et plus encore...
Malgré de très belles pages notamment sur les changements que fait subir cette nouvelle intelligence au climat et à la géologie, le roman comporte à mon goût trop de défauts narratifs pour vraiment être totalement convaincant et mériter d'entrer parmi les grands livres de SF. Mais ces défauts même sont intéressants à étudier...
Tout d'abord, qu'un chercheur, tout seul dans son coin, découvre ou invente des cellules dotées d'intelligence semblable en potentiel à celle d'un cerveau humain entier, voir bien plus, relève du cliché du savant génial.
Greg Bear ne s'en sort pas trop mal, le personnage arrive à prendre vie, mais comme lecteur je ressens toute l'impossibilité d'une telle action. La solitude sied si mal à la Science...
Notre savant ira jusqu'à s'injecter ces cellules en lui, afin de leur faire échapper à la destruction prévue ; leur inventeur ayant été renvoyé pour avoir pratiqué des recherches en dehors des protocoles autorisés...*
L'inévitable peut alors se produire, la transformation physique du savant et la dispersion de ces cellules d'un nouveau genre...
Quand à l'idée même de cellules intelligentes, fabriquées à partir de la mémoire génétique de l'espèce humaine, c'est bien sûr un concept quasiment impossible à imaginer dans la vie réelle. C'est bien là l'intérêt de la SF, nous projeter dans des possibilités extrémement ténues.
Greg Bear a trouvé là un sujet passionnant, qui fait évoluer agréablement tous ces récits clichés également de "super virus mortel", d'épidémies, etc...
Nous sommes bien face à une maladie, mais en est-ce vraiment une ? Les humains d'Amérique du Nord disparaissent, le paysage, les viles, tout est transformé, provoquant la panique sur les autres continents.
Il ne s'agit pourtant pas de destruction mais de reconstruction...
Ce fantasme d'une intelligence à taille très restreinte pose également des questions sur le phénomène même de l'intelligence. Le roman est là convaincant je trouve. Car ces cellules dotées d'un intellect poussé reproduisent exactement l'évolution de l'Humanité prenant lentement conscience de son environnement.
N'ayant pas accès aux sens d'un humain, puisqu'enfermées à l'intérieur de son corps, elle prennent le corps pour l'univers entier...
Leurs sens sont faits d'échange chimique, de messages sanguins ou lymphatiques. En changeant d'échelle, Greg Bear change l'intelligence, si dépendante d'après ce que nous pouvons en savoir, des cinq sens la reliant au monde où elle évolue.
Puis ces cellules prennent conscience qu'il y a un autre monde au-delà du corps univers...
Les actions de cette nouvelle forme de vie demeurent toujours quelque peu mystérieux, brutales, sans négociations, sans but défini. C'est là une qualité certaine de l'histoire, en renforce la fascination qu'elle peut exercer sur le lecteur. Cette nouvelle vie ne poursuit pas les mêmes buts que l'Humanité, ne veut même pas l'éradiquer.
Il n'y a pas de combat possible entre l'Humanité et ces milliards et milliards d'intelligences. Il y a juste une volonté des cellules intelligenets d'offir une meilleure vie aux humains, malgré eux, bienfaitrices offrant une immortalité et un monde nouveau bien différent de celui promis par les firmes pharmaceutiques...
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Sur de telles idées, le roman pourrait véritablement être extraordinaire à chaque page. Pourtant donc, me semble-t-il, certains défauts sont rédhibitoires.
Tout d'abord, il commence de manière catastrophique, mauvaise copie de mauvais roman scientiste, voir en sous-Stephen King, pour heureusement vite se rétablir. Ces personnages de savants, de directeurs de laboratoires semblent là encore que des supports bien pratiques pour établir le récit, tous commes ces quelques humains à la chimie différente qui ne sont pas trasnformés et parcourent l'Amérique ravagé.
Etait-ce vraiment utile par exemple que ce soit la mère du savant fautif qui survive, voulant le rejoindre, certaine qu'il est toujours là, dans ce bouleversement biologique ? L'on a l'impression là de lire du Stephen King, alors que le roman aurait pu se passer de ce personnage.
Plus embêtant, les cellules dialoguent verbalement avec leurs hôtes. C'est bien sûr pratique narrative, il faut en convenir. Néanmoins, cela entraîne parfois un sentiment de naïveté à la lecture.
Une incommunicabilité, une autre forme de dialogue aurait été plus stimulante, mais plus difficile à traiter littérairement sans doute.
Mais ce qui peut plonger le lecteur dans des abîmes de perplexité pas forcément bienvenus à mon avis est le rajout d'une autre grande idée de la Physique Fondamentale, à savoir le rapport entre théories et modification par cette théorie du monde réel...
En effet, l'on sait que l'observation change l'observé, tant en physique des particules qu'en sociologie...
L'accumulation de tant d'intelligence sur Terre, de nouvelles théories qu'elels engendrent, de nouvelles visions du monde, impliquent un changement des lois physiques en Amérique, permettant par exemple aux cellules de désamorcer les bombes nucléaires envoyées par la Russie pour éradiquer le fléau.
Je soupçonne surtout Greg Bear d'avoir du surtout trouver un moyen d'expliquer comment une forme de vie biologique pouvait s'opposer à des bombes tombant du ciel...
Deux grandes théories ou fortes révolutions pour un seul roman, c'est trop. Surtout qu'elles ne s'opposent pas, qu'elles ne se soutiennent pas vraiment, ne génère pas une dynamique narrative franche.
Accumuler des grandes idées ne fait pas forcément un grand roman. L'idéal sans doute étant comme dans la musique d'opéra de pratiquer des variations sur le même thème.
L'intrusion de la physique Fondamentale dans cette historie biologique par excellence ne m'a donc pas parut convaincante, ne servant pas le récit.
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De par sa structure narrative, ses choix de personnages assez cliché, La musique du sang, n'est sans doute pas un roman inoubliable, mais reste très agréable à lire par ses descriptions du nouveau monde et cette idée d'intelligence non pas tournée vers le monde extérieur et la conquête de l'univers entier, mais vers le monde intérieur où tout est possible, où tout reste en mémoire, où rien ne se perd, où l'individu répliqué ne meurt plus.
Voilà bien une différence radicale avec l'Humanité telle que nous la connaissons et la force de ce roman. Amas de cellules nous sommes, amas de cellules nous resterons, mais tourné vers un autre but, la paix intérieure.
Gulzar