Bonjour à toutes et à tous.
Petit curiosité aujourd’hui, avec une chronique sur une série en 7 épisodes, Contretemps, Golden years, écrite par Stephen King, notre "Fear Writer" bien connu. La série date de 1991, avec divers réalisateurs.
Dans ma quête sans fin de tout ce qui est SF, ou s’en approche, je ne pouvais rater une série signée Stephen King, dont le générique est illustré rien de moins que par la chanson de David Bowie, "Golden years".
Pour résumer, un savant obnubilé par la question du temps, expérimente dans une base militaire sur des souris blanches l’action d’un rayonnement susceptible justement d’inverser le cours du temps.
Un grave accident se produit. Ses deux assistants meurent et un vieux balayeur de 71 ans est irradié. En quelques heures, visiblement, il commence à rajeunir…
De peur de devenir un cobaye sous la coupe du gouvernement, il prend la fuite avec son épouse, tentant d‘aller chez leur fille aveugle, accompagné de la responsable de la Sécurité. Un agent du Gouvernement, un ancien collègue à elle, tue toutes les personnes au courant de l’existence du balayeur et se lance à leur poursuite.
Pendant ce temps, le savant définitivement fou et génial, continue ses expériences, faisant cette fois disparaître une horloge dont les aiguilles tournent à l‘envers.
Tout finira à Chicago dans la fureur des armes et la disparition du balayeur et de son épouse dans les limbes du temps…
En prenant son temps, la série étale donc sur un peu plus de six heures une histoire au fondement scientifique très léger, pour le moins. Mais qui implique une peur essentielle et terriblement réelle, celle de l’épouse qui voit rajeunir l’homme dont elle partage la vie depuis plus de quarante ans.
Une autre caractéristique narrative intéressante est que le savant fou ne cherche pas à faire rajeunir. Ce qui arrive au vieux balayeur, et qui entraîne toute la série, est donc un accident, une conséquence inattendue des expériences menées, ce qui est assez réaliste lorsque qu’on connaît l’Histoire des Sciences, qui progresse bien souvent par accident, par de surprenantes découvertes.
Mais fondamentalement, le vrai intérêt de Contretemps tient aux personnages vraiment sympathiques et à leurs interactions bien construites. C’est là le point fort de la série, tout comme nombre de nouvelles et romans de Stephen King. Censé écrire du fantastique, de la terreur, il se préoccupe en réalité surtout des simples gens vivants dans les petites villes états-uniennes. Ses histoires sont d’abord une étude de caractère, une étude sociale, cette fois pour la télévision plus drôle que ses récits habituellement plus sombres et angoissants.
Le couple du vieux balayeur et de son épouse est véritablement le pilier de la série. Nous les voyons dans le doute, l’angoisse de se perdre, dans leurs souvenirs. Ils ont peur d’être arrêtés, voir tués, mais continuent à lutter sans relâche. L’épouse inquiète, qui pose sans cesse des questions à la responsable de la sécurité, qui vit dans le cauchemar de perdre l’homme qu’elle aime est un beau personnage. Le couple perdra aussi au cours du temps son côté lisse. Apprendre qu’ils ont une fille aveugle, soixante-huitarde partie vivre sa vie à Chicago, fuyant la petite ville, son ennui et son conservatisme, permet d’approfondir les deux personnages centraux.
Le balayeur doit d’ailleurs travailler encore à son âge pour continuer à payer la belle maison qu’ils habitent… sans doute avait-il avant un autre métier plus élevé socialement. Vérité sociale des USA où nombre de personnes travaillent pratiquement jusqu’à leur mort tant ils ont besoin d’argent, également de se sentir encore utile socialement. Car être inactif est un pêché.
Les autres personnages de Contretemps sont par contre à l’opposé, beaucoup plus drôles. Stephen King là s’essaie avec talent à la comédie, avec pour commencer, le savant fou. Par bien des aspects, il se comporte comme tel, trépignant d’impatience, au discours répétitif, accablé par l’administratif pour obtenir une simple rallonge électrique, incompris de ses assistants attachés à la sécurité du laboratoire alors que lui risque tout pour entrer dans l’Histoire des Sciences.
À l’opposé, la scène où il parle à son père sur sa tombe nous emmène dans les tréfonds du pourquoi de sa recherche sur le temps. Il ne vit que pour la Science et il en est conscient, ce qui le rend humain, malgré son incapacité à avoir de l’empathie pour autrui.
Autre joli personnage, le jeune collègue du vieux balayeur, aux capacités mentales limités et terriblement naïf, incapable de deviner la vraie nature des gens. Vivant dans une caravane, comme nombre de travailleurs pauvres, il tente tout de même d’avoir un idéal en suivant des cours pour devenir taxidermiste. Il récupère ainsi les animaux sacrifiés du laboratoire pour les empailler. Venu passer la serpillière dans le laboratoire, il finira comme dernier assistant enthousiaste du savant fou.
Terriblement bien écrit, le sous-off responsable du petit personnel de la base militaire est un vrai régal, tout du long de Contretemps. Enfermé dans son bureau pas plus grand qu’un placard, il symbolise le petit fonctionnaire psychorigide et un peu lâche, toujours à obéir à l’autorité du moment, tout en défendant sa minuscule parcelle de pouvoir. Fragile psychologiquement, il finit par perdre pied lorsqu’il est entraîné en dehors de la base militaire, hors de son bureau pour Chicago. Il ne supporte pas une situation dans laquelle il ne parvient plus à distinguer où se situe l’autorité.
C’est un grand enfant perdu dans un monde d’adultes.
L’on tombe parfois dans le pur délire, avec la fille gauchiste et aveugle du vieux balayeur, dont l’appartement est décoré d’images de Lénine et d’Ho-Chi-Min, et dont les amis vivant en communauté et mangeant bio, connaissent des gens qui font des faux papiers, à la limite de la mafia et du terrorisme.
Je ne sais pas s’il s’agit de troisième degré ou d’une représentation du gauchisme à l’américaine, terriblement naïve, voir droitière… À remarquer que leur fille gauchiste est aveugle. Aveugle aux crimes communistes commis en Russie et au Cambodge ? Le message est quelque peu primaire, mais correspond tout de même bien au fantasme que peut représenter la menace gauchiste au pays de la libre entreprise et de la propriété privée…
Contretemps se situe donc nettement dans la comédie, et non dans la terreur. Ce n’est pas forcément à mon avis un mauvais choix, tant il est difficile de transformer en images et en son une terreur qui fonctionne si bien avec des mots.
Illustrer l’effroi dans une série télévisuelle destinée à un public familial, avec pas forcément de grand moyens, n’a guère de sens. Stephen King ne se trahit pas avec Contretemps. Il prend simplement en compte qu’il ne dispose pas d’un réalisateur du niveau de David Cronenberg ou David Lynch par exemple, capable cinématographiquement d‘emmener un récit très loin.
Quand on approche de l’impossible, autant y renoncer, sous peine d’être ridicule.
Néanmoins, sans rentrer dans les détails, Contretemps est truffé de petites trouvailles visuelles, de cadrages, de décors et de lumières bien trouvés. L’ensemble ne donne donc pas une sensation de pauvreté esthétique, de paresse, mais bien plus d’une réalisation astucieuse faite de peu, tirant parti du moindre élément pour tout de même faire de l’image. C’est un effort notable à souligner, car c‘est bien rare dans nombre de séries.
Contretemps est donc une série au rythme lent, sympathiquement ironique et aux savoureux personnages bien campés. Je la conseillerai toutefois surtout aux amateurs de Stephen King. Ils y retrouveront l’essentiel de son talent, faire vivre des choses extraordinaires à des gens ordinaires, sans jamais les mépriser.
Gulzar