Écoutons l’expert
- Je vous mets en liaison. Bhasundara, hôtesse d’accueil vous souhaite un bon entretien.
Wictorius devrait donc se contenter de ce Ronaldo Aylmer. Au milieu de la foule, Wictorius trouva refuge derrière la carriole d’un marchand de glaces énergisantes. C’est qu’il en fallait de la force pour retenir les cerfs-volants que le vent tentait d’arracher des mains de leurs concepteurs parfois fluets. Les sportifs olympiques et les géants étaient interdits de participation pour ne pas fausser la compétition.
L’image de l’expert se forma dans le cerveau amélioré de Wictorius. Ce spécialiste en démographie paysanne était un grabataire de niveau 7 en fauteuil tout confort !
- Qui me dérange ? J’ai fini ma journée, moi !
- Je vous appelle du Brazil, je suis Wictorius, le célèbre agent secret professionnel !
- Connais pas… Que voulez-vous ? Je vous préviens, je ne vous aiderai pas à décimer du paysan !
- Loin de moi cette intention ! Je suis adepte de la non-violence. Non, je lutte contre une organisation criminelle qui met gravement en danger la nouvelle économie. Avez-vous au GRUP entendu parler de la Greffe Noire ?
- La Greffe Noire ? Bien sûr que oui, à qui pensez-vous avoir à faire ? Je suis un expert professionnel de catégorie 9 ! Dangereuse, très dangereuse cette secte ! Veulent l’égalité entre plantes et humains, et puis quoi encore ?
Le visage déformé par une terreur soudaine du vieillard envahit l’esprit de Wictorius.
- Mais il y a plus grave, plus urgent ! Les populations de paysans baissent drastiquement sur les sept continents, je suis très inquiet… Mais personne ne m’écoute ! Si la paysannerie disparait, pendant combien de temps pensez-vous que le GRUP va garder un spécialiste en démographie paysanne ? À mon grand âge, je n’envisage pas de me reconvertir en démographie féline…
La suite demain !
The Invisible Boy 1957, Herman Hoffman
Bonjour à Toutes et tous.
Nouvelle trouvaille dans le rayon occasions pas chères de mon librairie bd, la seconde éditions de la bande dessinée en deux tomes de Jean Pleyers, Les êtres de lumière, republiées cette fois-ci en Belgique par les éditins Hélyode en 1993.
Rare oeuvre absolument formidable des années 80, ancienne par le style, moderne sur le fond, elle constitue l'un de ses trésors peu connus de la SF, à découvrir absolument.
J'avais déjà l'ancienne éditions de 1982 et 1984, dans un format plus petit, aux Humanoïdes Associés. Certains dialogues ne sont pas les mêmes et l'impression des couleurs est également plus agréable à mon goût.
Sans parler des couvertures bien plus réussies !
Cependant la grande taille des éditions Hélyode sert bien le dessin de Jean Pleyers et l'impression plus moderne peut séduire, tout dépend des goûts de chacun.
La chronique à lire :
http://36quaidufutur.over-blog.com/article-bd-les-etres-de-lumiere-de-jean-pleyers-57876324.html
Gulzar
Deux experts valent mieux qu’un
Wictorius finit sans plus de honte sa galette de maïs et prit le tram 19 jusqu’au terminus de l‘ancien aéroport. Durant ces journées de compétition, les pistes étaient envahies de cerfs-volants, tous plus originaux les uns que les autres, du minuscule aux gigantesque. Gonflables ou rigides, les deux catégories se disputaient le premier prix d’élégance, remise par Miss Rio elle-même, cette année un ancien camionneur reconvertie dans la féminité la plus parfaite.
Les compétiteurs arrivaient de toute la planète, débarquant par bateaux, îles flottantes, villages ou villas volantes. Le prestigieux jury planait déjà sur sa plateforme climatique régulant le vent, qui devait absolument resté identique pour tous.
Le lieu parfait pour entretenir discrètement une petite conversation au milieu de la foule qui filmait avidement l‘évènement. Wictorius ressentait le besoin d’une autre expertise avant de s’enfoncer dans l’Amazonie hostile, car oui, l’Amazonie était hostile.
Discrètement, il alluma son oreille.com et contacta les lointains services tibétains du Groupe Révolutionnaire Universitaire et Philosophique qui avait su ramené la paix sur Terre après des siècles d’horreur industrielle. Il serait sans doute difficile d’obtenir l’avis d’un expert du GRUP, mais comme agent secret, Wictorius serait prioritaire.
- Bhasundara, hôtesse d’accueil. Quel service désirez-vous ?
- Bonjour Mademoiselle, quelle joie de pouvoir vous parler ! D’habitude, j’ai droit à une androïde acariâtre…
- Je suis une intelligence artificielle, Monsieur, mais avec une voix humaine pour ne pas froisser la susceptibilité des technologiquement rétrogrades. Le GRUP veille à satisfaire chacun dans le système solaire.
- Ah, très bien. Je souhaiterais un entretien express avec un expert en flore, enfin vous voyez, en plantes peu communes, je veux dire sur les anomalies…
- J’ai un universitaire spécialiste en démographie paysanne, Ronaldo Aylmer, qui est encore dans son bureau. C’est tout ce qui me reste. Il vous en coûtera trente brazols la minute.
La suite lundi !
Cas de conscience
- La psychanalyse ? Mais je croyais ce courant de pensée quasiment éteint ?
- Pour nous autres évolués, certes oui, Patron, mais pour les plantes ? Vous vous rendez compte du traumatisme que cela doit être étant graine de ne pas connaître ses parents, de pousser dans l’obscurité, d’affronter le gel, la sécheresse et l’urine d’animaux sans gêne, les herbivores et les rongeurs qui veulent votre mort, vos propriétaires qui vous oublient sans eau dans votre pot ? Ce Docteur Jungulu a bien raison, il faut offrir aux plantes une assistance psychique obligatoire !
Wictorius doutait que cela soit utile pour les tubercules et les cactus. Les plantes, il y en avait jusqu’à Mars et Vénus désormais, sans oublier la face cachée de la Lune habitée par les Pygmées… La Finance avait beau avoir été vaincue, la nouvelle économie ne pouvait pas satisfaire tout le monde…
- N’oublie pas ma liste, je veux que tout soit prêt pour samedi matin !
- Bien Patron. Je finirai mon livre plus tard…
Une fois franchi le rideau militarisé de la Ligue des Justicières protégeant le Palais Natureza Alegre des possibles attaques de la Greffe Noire, Wictorius fut pris d’une petite fringale bien légitime.
- Une galette !
› voilà Senhor, quatre brazols.
- Merci le robot. Jolie carriole !
› on fait de son mieux, Senhor…
Wictorius s’arrêta à la première bouchée, pétrifié. Sachant désormais que l’espèce humaine descendait des premières fougères et algues primitives, il hésitait à manger sa galette de maïs. Le cannibalisme l’attendait. Ce que Wictorius apprenait malgré lui dans sa rude profession bousculait impitoyablement son mode de pensée.
- Si seulement je pouvais redevenir ignorant à volonté… Mais non, je suis forcé d’être intelligent ! Ce n’est pas une vie, j‘ai faim, moi… Oh, et puis zutabloïde ! Je mange mes ancêtres…
La suite demain !
Bonjour à toutes et tous.
Nouvelle chronique bd pour évoquer un formidable et redoutable album d'une soixantaine de pages, Le sarcophage, datant de 2000, publié par Dargaud.
L'album fait partie de la série des Correspondances de Pierre Christin, scénariste de nombreux albums de bd avec Enki Bilal notamment, qui est donc au dessin pour donc ce vrai faux livret publicitaire d'un projet de Musée de l'Avenir, situé en Urkraine.
Plus précisément autour du sarcophage recouvrant le réacteur nucléaire de Tchernobyl ayant explosé en 1986, suite à des exercices périlleux simulant une catastrophe...
Le livret mêle fiction et extraits de témoignages de gens ayant vécu la période d'après catastrophe comme ingénieur, militaire, volontaires et stalkers qui ont contribué au périle de leur vie à construire ce sarcophage, à limiter les conséquences désastreuses de l'explosion du réacteur pour la région et la planète entière il faut le rappeller.
Le grand intérêt et sa grande force du livret n'est pas d'illustrer ce qui s'est passé, ce qui par ailleurs serait sans doute un projet artistique à la hauteur de Bilal et Christin.
Non, le livret se présente comme une maquette de livret promotionnel, censé donner envie aux investisseurs de financer ce Musée de l'Avenir, sur le site même de la faillite du fameux "Progrès" technoscientifique...
Premier cynisme, faire oublier les conséquences de ses actes, de son idéologiqe "progressiste" à l'endroit où normalement le doute le plus profond devrait surgir.
Montrer, exposer, vendre du frisson sans risques pour mieux assurer l'oubli total... Stratégie post-moderne tout à fait crédible, l'idée même du livret est très bonne.
Nous sommes donc confronté non pas à la catastrophe, mais à ses causes... La démence de la croyance en la technologique comme nouvelle magie, le cynisme des puissances tant politiques qu'économiques et leur mépris des populations.
Dans la Russie Soviétique, qui était un capitalisme d'Etat face à un Capitalisme privé à l'Ouest, le nucléaire était élevé au rang de religion d'Etat, infaillible, amenant le progrès social avec l'électricité... Là où dans le capitalisme libéral, la catastrophe arrivera par une volonté farouche de réduire les coûts au profit des actionnaires anonymes...
Sans vouloir décrire dans le détails les différentes salles du Musée, il se veut moderne, dépassant les musées à l'ancienne du 19ème et 20ème siècle. L'ambiance est à la plongée du visiteur dans une hyper réalité glaçante où il est son propre acteur de sa propre oeuvre.
Musée de l'Avenir, un projet qui vous enthousiasmera, qui régénera chez le visiteur son amour du Progrès, du Futur rayonnant de possibilités infinies...
Chaque salle paraît tristement plausible. Christin devine à merveille jusqu'ou serait près à aller les promoteurs pour attirer le client...
Car outre son imagination perspicace, le vrai faux livret publicitaire de Christion et Bilal, est une saine réflexion sur ce qu'est la mémoire officielle symbolisée par le Musée, au-delà du drame humain de Tchernobyl.
un Musée ne tient pas du hasard, mais est un acte de construction d'un passé, voir d'un présent pour les musées d'art moderne par exemple, un acte d'idéologie destinée à édifier le public, à l'influencer.
un Musée préhistorique, sur les chapeaux, sur les arts premiers, sur Staline, sur tout et n'importe quoi à d'abord pour fonction de se justifier, de se dédouaner, de repousser une vérité parfois désagréables.
Pourquoi uniquement des arts africains et océaniens aux Musée des Arts Premiers de Paris ? pourqoi pas slave, basque, breton, norvégiens ? Parce que ces peuples n'ont pas été considéré comme suffisamment primitifs dans l'imaginaire français construit avec la colonisation ?
Montrer de l'abstrait, le promouvoir, est-ce un combat contre le figuratif, devenu atrocement populaire ?
Le sarcophage mêle donc très intelligemment deux vastes sujets, Tchernobyl et son cortège de questions sur la technoscience, auquelles l'Humanité ne va plus pouvoir très longtemps, échapper et l'acte mémoriel lui-même.
Livret prémonitoire également, puisque aujourd'hui même, depuis plus de dix ans en fait, un tourisme "catastrophe" a surgi. Des cars entiers de touristes venus du monde entier se succèdent toute l'année. Ils viennent visiter les lieux, la ville de Pirpiat abandonnée à proximité du site nucléaire, la région. Ce qui d'ailleurs donne du travail pour la population...
Travail terrible, puisqu'il consiste inlassablement à revivre leur drame...
Gulzar
A signaler un autre livret hors albums, Hors jeu, consacré au football du futur, qui vaut aussi le détour...
Pour revenir au sujet, un très beau film sur ce sujet, sorti en 2012, est à voir, La terre outragée de Michale Boganim. Une sortie en dvd ne devrait pas tarder je l'espère.
Pour en savoir plus
La supplication, Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse de Svetlana Alexievitch
http://livre.fnac.com/a1569633/Svetlana-Alexievitch-La-supplication
La terre outragée
Sur les correspondances de Pierre Christin :
http://www.bedetheque.com/serie-3957-BD-Correspondances-de-Pierre-Christin.html
Sur Enki Bilal :
Sur Le sarcophage
http://livre.fnac.com/a1128760/Les-Correspondances-de-Christin-T6-Le-sarcophage-Enki-Bilal
Et une autre bande dessinée de Chantal Montellier, Tchernobyl mon amour, sorti en 2008.
http://www.actes-sud.fr/catalogue/actes-sud-bd/tchernobyl-mon-amour
http://www.sceneario.com/bande-dessinee/TCHERNOBYL+MON+AMOUR-Tchernobyl+mon+amour-5443.html
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