Aujourd'hui, encore et toujours la même énigme. Qui de la femme ou de l'homme est à l'origine de la vie ? Buffon rend compte dans ce passage de l'avis d'autres auteurs sur le ver spermatique...
HISTOIRE NATURELLE.
HISTOIRE DES ANIMAUX.
CHAPITRE V.
Exposition des Systèmes sur la génération.
Leeuwenhoek, Andry et plusieurs autres s’opposèrent donc de toutes leurs forces au système des œufs ; ils avaient découvert dans la semence de tous les mâles des animalcules vivans, ils prouvaient que ces animalcules ne pouvaient pas être regardés comme des habitants de cette liqueur, puisque leur volume était plus grand que celui de la liqueur même, que d’ailleurs on ne trouvait rien de semblable ni dans le sang, ni dans les autres liqueurs du corps des animaux ; ils disaient que les femelles ne fournissant rien de pareil, rien de vivant, il était évident que la fécondité qu’on leur attribuait, appartenait au contraire aux mâles ; qu’il n’y avait que dans la semence de ceux-ci où l’on vît quelque chose de vivant, que ce qu’on y voyait, était de vrais animaux, et que ce fait tout seul avançait plus l’explication de la génération que tout ce qu’on avait imaginé auparavant, puisqu’en effet ce qu’il y a de plus difficile à concevoir dans la génération, c’est la production du vivant, que tout le reste est accessoire, et qu’ainsi on ne pouvait pas douter que ces petits animaux ne sussent destinés à devenir des hommes ou des animaux parfaits de chaque espèce ; et lorsqu’on opposait aux partisans de ce système, qu’il ne paroissait pas naturel d’imaginer que de plusieurs millions d’animalcules, qui tous pouvaient devenir un homme, il n’y en eût qu’un seul qui eût cet avantage
Lorsqu’on leur demandait pourquoi cette profusion inutile de germes d’hommes, ils répondaient que c’était la magnificence ordinaire de la Nature, que dans les plantes et dans les arbres on voyait bien que de plusieurs millions de graines qu’ils produisent naturellement, il n’en réussit qu’un très petit nombre, et qu’ainsi on ne devait point être étonné de celui des animaux spermatiques, quelque prodigieux qu’il fût.
Lorsqu’on leur objectait la petitesse infinie du ver spermatique, comparé à l’homme, ils répondaient par l’exemple de la graine des arbres, de l’orme, par exemple, laquelle comparée à l’individu parfait est aussi fort petite, et ils ajoutaient avec assez de fondement, des raisons métaphysiques, par lesquelles ils prouvoient que le grand et le petit n’étant que des relations, le passage du petit au grand ou du grand au petit s’exécute par la Nature avec encore plus de facilité que nous n’en avons à le concevoir.
D’ailleurs, disaient-ils, n’a-t-on pas des exemples très fréquents de transformation dans les insectes ? ne voit-on pas de petits vers aquatiques devenir des animaux aîlés, par un simple dépouillement de leur enveloppe, laquelle cependant était leur forme extérieure et apparente ? les animaux spermatiques par une pareille transformation ne peuvent-ils pas devenir des animaux parfaits ? Tout concourt donc, concluaient-ils, à favoriser ce système sur la génération, et à faire rejeter le système des œufs ; et si l’on veut absolument, disaient quelques-uns, que dans les femelles des vivipares il y ait des œufs comme dans celles des ovipares, ces œufs dans les unes et dans les autres ne seront que la matière nécessaire à l’accroissement du ver spermatique, il entrera dans l’œuf par le pédicule qui l’attachait à l’ovaire, il y trouvera une nourriture préparée pour lui, tous les vers qui n’auront pas été assez heureux pour rencontrer cette ouverture du pédicule de l’œuf, périront, celui qui seul aura enfilé ce chemin, arrivera à sa transformation : c’est par cette raison qu’il existe un nombre prodigieux de ces petits animaux, la difficulté de rencontrer un œuf et ensuite l’ouverture du pédicule de cet œuf, ne peut être compensée que par le nombre infini des vers ; il y a un million, si l’on veut, à parier contre un, qu’un tel ver spermatique ne rencontrera pas le pédicule de l’œuf, mais aussi il y a un million de vers ; dès lors il n’y a plus qu’un à parier contre un que le pédicule de l’œuf sera enfilé par un de ces vers ; et lorsqu’il y est une fois entré et qu’il s’est logé dans l’œuf, un autre ne peut plus y entrer, parce que, disoient-ils, le premier ver bouche entièrement le passage, ou bien il y a une soupape à l’entrée du pédicule qui peut jouer lorsque l’œuf n’est pas absolument plein, mais lorsque le ver a achevé de remplir l’œuf, la soupape ne peut plus s’ouvrir, quoique poussée par un second ver ; cette soupape d’ailleurs est fort bien imaginée, parce que s’il prend envie au premier ver de ressortir de l’œuf, elle s’oppose à son départ, il est obligé de rester et de se transformer ; le ver spermatique est alors le vrai fœtus, la substance de l’œuf le nourrit, les membranes de cet œuf lui servent d’enveloppe, et lorsque la nourriture contenue dans l’œuf commence à lui manquer, il s’applique à la peau intérieure de la matrice et tire ainsi sa nourriture du sang de la mère, jusqu’à ce que par son poids et par l’augmentation de ses forces il rompe enfin ses liens pour venir au monde.
Par ce système ce n’est plus la première femme qui renfermait toutes les races passées, présentes et futures, mais c’est le premier homme qui en effet contenait toute sa postérité ; les germes préexistants ne sont plus des embryons sans vie renfermés comme de petites statues dans des œufs contenus à l’infini les uns dans les autres, ce sont de petits animaux, de petits homoncules organisés et actuellement vivans, tous renfermez les uns dans les autres, auxquels il manque rien, et qui deviennent des animaux parfaits et des hommes par un simple développement aidé d’une transformation semblable à celle que subissent les insectes avant que d’arriver à leur état de perfection.