Aujourd'hui, terminons le long chapitre V avec un ultime débat entre l'oeuf féminin et le ver spermatique masculin...
HISTOIRE NATURELLE.
HISTOIRE DES ANIMAUX.
CHAPITRE V.
Exposition des Systèmes sur la génération.
Une troisième difficulté contre ces deux systèmes, c’est la ressemblance des enfants, tantôt au père, tantôt à la mère, et quelquefois à tous les deux ensemble, et les marques évidentes des deux espèces dans les mulets et dans les animaux mi-partis. Si le ver spermatique de la semence du père doit être le fœtus, comment se peut-il que l’enfant ressemble à la mère ? et si le fœtus est préexistant dans l’œuf de la mère, comment se peut-il que l’enfant ressemble à son père ? et si le ver spermatique d’un cheval ou l’œuf d’une ânesse contient le fœtus, comment se peut-il que le mulet participe de la nature du cheval et de celle de l’ânesse ?
Ces difficultés générales, qui sont invincibles, ne sont pas les seules qu’on puisse faire contre ces systèmes, il y en a de particulières qui ne sont pas moins fortes ; et pour commencer par le système des vers spermatiques, ne doit-on pas demander à ceux qui les admettent et qui imaginent que ces vers se transforment en homme, comment ils entendent que se fait cette transformation, et leur objecter que celle des insectes n’a et ne peut avoir aucun rapport avec celle qu’ils supposent ? car le ver qui doit devenir mouche, ou la chenille qui doit devenir papillon, passe par un état mitoyen, qui est celui de la chrysalide, et lorsqu’il sort de la chrysalide, il est entièrement formé, il a acquis sa grandeur totale et toute la perfection de sa forme, et il est dès-lors en état d’engendrer ; au lieu que dans la prétendue transformation du ver spermatique en homme, on ne peut pas dire qu’il y ait un état de chrysalide, et quand même on en supposerait un pendant les premiers jours de la conception, pourquoi la production de cette chrysalide supposée n’est-elle pas un homme adulte et parfait, et qu’au contraire ce n’est qu’un embryon encore informe auquel il faut un nouveau développement ? on voit bien que l’analogie est ici violée, et que bien-loin de confirmer cette idée de la transformation du ver spermatique, elle la détruit lorsqu’on prend la peine de l’examiner.
D’ailleurs le ver qui doit se transformer en mouche vient d’un œuf, cet œuf est le produit de la copulation des deux sèxes, de la mouche mâle et de la mouche femelle, et il renferme le fœtus ou le ver qui doit ensuite devenir chrysalide, et arriver enfin à son état de perfection, à son état de mouche, dans lequel seul l’animal a la faculté d’engendrer, au lieu que le ver spermatique n’a aucun principe de génération, il ne vient pas d’un œuf ; et quand même on accorderait que la semence peut contenir des œufs d’où sortent les vers spermatiques, la difficulté restera toujours la même ; car ces œufs supposés n’ont pas pour principe d’existence la copulation des deux sèxes, comme dans les insectes, par conséquent la production supposée, non plus que le développement prétendu des vers spermatiques, ne peuvent être comparés à la production et au développement des insectes, et bien-loin que les partisans de cette opinion puissent tirer avantage de la transformation des insectes, elle me parait au contraire détruire le fondement de leur explication.
Lorsqu’on fait attention à la multitude innombrable des vers spermatiques, et au très-petit nombre de fœtus qui en résulte, et qu’on oppose aux Physiciens prévenus de ce système la profusion énorme et inutile qu’ils sont obligez d’admettre, ils répondent, comme je l’ai dit, par l’exemple des plantes et des arbres, qui produisent un très-grand nombre de graines assez inutilement pour la propagation ou la multiplication de l’espèce, puisque de toutes ces graines il n’y en a que fort peu qui produisent des plantes et des arbres, et que tout le reste semble être destiné à l’engrais de la terre, ou à la nourriture des animaux ; mais cette comparaison n’est pas tout-à-fait juste, parce qu’il est de nécessité absolue que tous les vers spermatiques périssent, à l’exception d’un seul, au lieu qu’il n’est pas également nécessaire que toutes les graines périssent, et que d’ailleurs en servant de nourriture à d’autres corps organisés, elles servent au développement et à la reproduction des animaux lorsqu’elles ne deviennent pas elles-mêmes des végétaux, au lieu qu’on ne voit aucun usage des vers spermatiques, aucun but auquel on puisse rapporter leur multitude prodigieuse : au reste, je ne fais cette remarque que pour rapporter tout ce qu’on a dit ou pû dire sur cette matière, car j’avoue qu’une raison tirée des causes finales n’établira ni ne détruira jamais un système en Physique.
Une autre objection que l’on a faite contre l’opinion des vers spermatiques, c’est qu’ils semblent être en nombre assez égal dans la semence de toutes les espèces d’animaux, au lieu qu’il paraitrait naturel que dans les espèces où le nombre des fœtus est fort abondant, comme dans les poissons, les insectes, etc. le nombre des vers spermatiques fût aussi fort grand ; et il semble que dans les espèces où la génération est moins abondante, comme dans l’homme, les quadrupèdes, les oiseaux, etc. le nombre des vers dût être plus petit ; car s’ils sont la cause immédiate de la production, pourquoi n’y a-t-il aucune proportion entre leur nombre et celui des fœtus ? d’ailleurs, il n’y a pas de différence proportionnelle dans la grandeur de la plûpart des espèces de vers spermatiques, ceux des gros animaux sont aussi petits que ceux des plus petits animaux ; le cabillau et l’éperlan ont des animaux spermatiques également petits ; ceux de la semence d’un rat et ceux de la liqueur séminale d’un homme sont à peu près de la même grosseur, et lorsqu’il y a de la différence dans la grandeur de ces animaux spermatiques, elle n’est point relative à la grandeur de l’individu ; le calmar, qui n’est qu’un poisson assez petit, a des vers spermatiques plus de cent mille fois plus gros que ceux de l’homme ou du chien, autre preuve que ces vers ne sont pas la cause immédiate et unique de la génération.
Les difficultés particulières qu’on peut faire contre le système des œufs, sont aussi très considérables : si le fœtus est préexistant dans l’œuf avant la communication du mâle et de la femelle, pourquoi dans les œufs que la poule produit sans avoir eu le coq, ne voit-on pas le fœtus aussi-bien que dans les œufs qu’elle produit après la copulation avec le coq ? Nous avons rapporté ci-devant les observations de Malpighi, faites sur des œufs frais sortant du corps de la poule, et qui n’avaient pas encore été couvés, il a toûjours trouvé le fœtus dans ceux que produisaient les poules qui avoient reçu le coq, et dans ceux des poules vierges ou séparées du coq depuis long temps, il n’a jamais trouvé qu’une mole dans la cicatricule ; il est donc bien clair que le fœtus n’est pas préexistant dans l’œuf, mais qu’au contraire il ne s’y forme que quand la semence du mâle l’a pénétré.
Une autre difficulté contre ce système, c’est que non seulement on ne voit pas le fœtus dans les œufs des ovipares avant la conjonction des sèxes, mais même on ne voit pas d’œufs dans les vivipares : les Physiciens qui prétendent que le ver spermatique est le fœtus sous une enveloppe, sont au moins assurés de l’existence des vers spermatiques, mais ceux qui veulent que le fœtus soit préexistant dans l’œuf, non seulement imaginent cette préexistence, mais même ils n’ont aucune preuve de l’existence de l’œuf, au contraire il y a probabilité presqu’équivalente à la certitude, que ces œufs n’existent pas dans les vivipares, puisqu’on a fait des milliers d’expériences pour tâcher de les découvrir, et qu’on n’a jamais pû les trouver.
Quoique les partisans du système des œufs ne s’accordent point au sujet de ce que l’on doit regarder comme le vrai œuf dans les testicules des femelles, ils veulent cependant tous que la fécondation se fasse immédiatement dans ce testicule qu’ils appellent l’ovaire, sans faire attention que si cela étoit, on trouveroit la plupart des fœtus dans l’abdomen, au lieu de les trouver dans la matrice ; car le pavillon, ou l’extrémité supérieure de la trompe étant, comme l’on sait, séparée du testicule, les prétendus œufs doivent tomber souvent dans l’abdomen, et on y trouveroit souvent des fœtus : or on sait que ce cas est extrêmement rare, je ne sais pas même s’il est vrai que cela soit jamais arrivé par l’effet que nous supposons, et je pense que les fœtus qu’on a trouvés dans l’abdomen, étaient sortis, ou des trompes de la matrice, ou de la matrice même, par quelqu’accident.