Bonjour à toutes et tous.
Chronique littéraire aujourd’hui avec un roman de Greg Bear, L’envol de Mars, datant de 1993, édition Livre de Poche de 1995.
Tant le titre que les premières pages nous plongent directement dans un thème sinon traditionnel du moins habituel en SF, la colonisation de Mars. Quatre millions de martiens habitent désormais le sous-sol, selon un mode communautaire encore familial.
Mais voilà, après avoir repris le contrôle de la Lune elle aussi habitée, la Terre souhaiterait fortement voir Mars adopter un système politique unifié.
Ecrit à la première personne, ces mémoires relatent la vie d’une jeune femme entrant en politique, le roman n’est donc pas très surprenant, tant le principe de divergence politique entre la Terre et une colonie martienne est l’un des axiomes assez inévitables lorsqu’on écrit sur l’expansion humaine au sein du système solaire.
Du moins au début. Car c’est là à mon sens son intérêt, L’envol de Mars part dans une direction complètement inattendue. L’affrontement entre Mars, inexpérimentée politiquement, et la Terre, planète mère, va atteindre une intensité et une conclusion d’une rare force ; sans pour autant verser dans le conflit ultra violent de longue haleine, avec un vainqueur et un vaincu, ou un armistice.
Greg Bear a en effet trouvé une troisième voie possible, extravagante mais tout à fait excitante, que je ne vous révèlerais pas si vous n’avez pas encore lu le roman. Mars reste le sujet du récit, mais une seconde thématique scientifique va venir le bouleverser.
Sans trop en dire, L’envol de Mars expose en effet une conception de l’univers physique, tirée de réflexions et de théories de Physique Fondamentale, non vérifiées mais tentant d’expliquer la nature même de la matière.
Car malgré la conception intuitive de l’atome par les Grecs Anciens, Newton, Einstein et ses collègues, les accélérateurs de particules, nous ne savons pas réellement de quoi est composée la matière, ni comment la gravité exerce son influence, encore moins pourquoi nous vivons dans un monde apparemment en quatre dimensions.
Greg Bear utilise finalement un concept assez géométrique, en fait ce que l’on appelle la topographie, mêlé à l’idée fondamentale que l’Univers n’existe pas dans l’absolu, mais selon les lois physiques présentes, celles qui auraient survécu au big bang. Mais d’autres auraient pu apparaître, ou sont susceptibles d’apparaître…
Chaque particule posséderait donc un ensemble de lois qui lui sont applicables, et qui à l’aide d’un engin dénommé tenseur pourraient être modifiées. D’où la possibilité par exemple de changer de place instantanément de place un objet, de le projeter ailleurs, sans que les lois physiques en soient bouleversées. Il suffit que chaque atome subisse en même temps une modification des lois physiques localement, l’énergie étant prise sur l’ensemble de l’Univers.
À la petite échelle de l’activité humaine, cela ne bouleverserait rien.
Cela vous paraît quelque peu obscur ? J’ai pourtant trouvé un exemple assez simple pour tenter d’abord de m’éclairer moi-même…
Prenons l’eau, un élément commun. Vous pensez sans doute que la glace, l’eau liquide, l’eau vaporisée sont des éléments naturels et qu’il est tout à fait normal de les trouver dans la Nature.
Oui et non.
En fait, ce sont uniquement les conditions de salinité, de température et de pression qui détermine la formation de ces trois états d’un seul élément, l’eau.
L’eau salé ne gèle pas à la même température que l’eau pure. Au sommet de l’Everest, l’eau ne gèle pas au zéro Celsius, faute de pression atmosphérique suffisante.
L’état physique de l’eau n’est donc pas déterminé en soi, comme état permanent, mais bel et bien des circonstances.
La glace, l’eau liquide, l’eau vaporisée dépendent belle et bien des lois physiques, des conditions physiques qui sont appliquées à cet élément, qui d’ailleurs lui-même ne peut exister si les conditions physiques de l’union d’un atome d’hydrogène avec deux atomes d’oxygène ne sont pas remplies…
Si sur Terre, la température ne descendait jamais au-dessous de zéro degré Celsius, la glace n’existerait même pas.
Tout comme nous avons appris par nous-même à modifier l’état de l’eau par le feu ou le congélateur, nous pourrions à terme apprendre à modifier l’état de n’importe quel atome au plus profond de son corpus de lois physiques, d’une manière encore plus spectaculaire que nous le faisons aujourd’hui avec la métallurgie, la chimie, la nano industrie…
L’étude de la matière n’est sans doute finalement que l’étude des lois physiques procédant à sa naissance, à sa modification. Les collisions de particules dans les accélérateurs en sont l’expression même. Nous trouvons des particules qui n’existent même pas dans la nature, même pas dans les soleils, simplement en créant les conditions physiques de leur existence, déterminées au préalable par le calcul mathématique.
Contrairement à l'idée reçue, au CERN ne se joue pas la découverte de l’Univers, mais sa création, son invention pure et simple… De quoi donner le vertige sur la nature même de la matière, produit direct des lois physiques en vigueur, toutes relatives.
Changeons de lois physiques et nous changeons de matière, d’univers.
Cette conception à géométrie variable de l’univers physique peut à mon sens devenir un axiome de base de la SF, tout comme le robot, le voyage dans le temps, etc… De nombreux récits pourraient se construire autour de cette version de l’univers, sans d’ailleurs exclure d’autres tentatives d’explication de la nature même de la matière dont l’univers semble constitué.
L’envol de Mars pose donc à mon sens une pierre sur le chemin de la SF et n’est pas simplement un énième roman sur Mars, tout en apportant également une vision très réaliste de la colonisation de la planète rouge, portée par des personnages intéressants, très humains. Greg Bear ne néglige rien.
Pas de nouveauté narrative majeure sans s’appuyer sur de vastes idées conceptuelles, de la recherche fondamentale, en l’occurrence scientifique. Voilà bien la leçon que l’on peut tirer de L’envol de Mars.
Gulzar