Sur la jante
Wictorius quitta le Kadhafi Bar avec une note encore rallongée et prit un taxi robot découvrable.
Sergueï vous accueille. où souhaitez-vous vous rendre, Senhor ?
- Au Palais Natureza Alegre !
Sergueï vous informe. le Palais n’est plus ouvert au public depuis quelques jours, je suis désolé. toutefois, je peux vous emmener au Musée de la Chaussette si vous le souhaitez.
- Ne t’inquiète pas le taxi, je suis un important personnage, on m‘ouvrira. Fonce !
Sergueï vous parle. très bien, le client a toujours raison.
Le taxi robot replia complètement son toit, démarra et s’inséra comme il put dans le fort trafic de l’après-midi. L’avenue Pina Bausch à six voies ne désemplissait jamais, même de nuit, sans compter les douze voies cyclables, dont la moitié pour les seuls marchands ambulants avec leurs carrioles.
Wictorius savoura le moment. Il adorait prendre le taxi. Parfois, l’un de ces robots russes avait une conversation sortant de l’ordinaire. Mais Sergueï se contentait d’insulter les véhicules trop lents à son goût, oubliant complètement son client.
Peu importait, Wictorius avait à songer. L’on s’attaquait donc à la végétation, à coups de greffes sauvages. Primitive ou savamment renouvelée, tout forme chlorophyllienne était menacée.
Sergueï vous prévient. nous voilà arrivés à la grille du Palais. cela fera soixante-trois brazols, Senhor.
- Si cher ? Le tarif horaire a encore augmenté ?
Sergueï se justifie. le pneumatique devient rare et coûteux. les arbres à caoutchouc ne produisent plus autant, sans raison. certains collègues roulent déjà sur la jante. mais où va donc le Monde ?
- Je n’en sais rien, mon bon Sergueï…
Wictorius claqua la portière après avoir payé. Il sentait la transpiration lui couler dans le dos. Encore un signe inquiétant. Le pneumatique, c’était la civilisation, la roue rendue enfin confortable, la vitesse après des millénaires de lentes charrettes en bois.
La suite demain !
Apocalypse... Le mot évoque des catastrophes aux proportions bibliques : pluies ardentes, invasions de sauterelles en métal, cavaliers fauchant l’humanité, anges en feu qui tombent, chiens et chats couchant ensemble et décors qui s’écroulent comme aux plus beaux jours du péplum italien. Notre époque a de surcroit enrichi l’imagerie apocalyptique du spectre du champignon nucléaire et des glyphes calendaires mayas.
Signe des temps : les prophètes de malheur pullulent et envahissent tout tels une onzième plaie. Et s’ils s’étaient tous trompés ? Et si le ciel ne nous tombait pas sur la tête ? Et si Godzilla ne venait pas nous croquer ? Et si Damien n’était qu’un petit garçon mal élevé ? Et d’abord, qu’est-ce qu’elle raconte en vrai, l’Apocalypse ?
Alex Nikolavitch est scénariste de bandes dessinées, mais surtout traducteur de comic books depuis de nombreuses années, ce qui l’a conduit à disséquer de près cette forme de narration graphique. Il a signé entre autres les adaptations françaises de Planète Hulk, Batman : l’Asile d’Arkham, L’Arme X, Uncle Sam ou des Mickey de Gottfredson.
par Imaginaute librairie
La cinquième épouse
Le hasard faisait parfois bien les choses. Wictorius savait désormais par où débuter sa nouvelle mission, laissant parler sa longue expérience d’agent secret.
N’ayant plus guère confiance dans la documentation officielle fournie par la Grosse Citrouille, ni même dans celle des rézos soit disant bien informés, il avait appris à faire confiance à l’anonyme, au petites gens, à celles et ceux qui touchaient du doigt la vraie vie jusqu‘à en perdre le bras entier.
Parfois, même les plus démunis dans leurs roulottes à propulsion nucléaire se révélaient au courant de certains sujets censés restés confidentiels. Ces nomades étaient tout à fait étonnants de vivacité intellectuelle pour des analphabètes de conviction.
- Notre petite discussion m’a éclairé, cher Senhor Bigodo ! Comme représentant en flore d’agrément, toute cette affaire m’inquiète. Imaginez-vous que les gens prennent peur, n’achètent plus de plantes pour leurs chez-soi par crainte de se faire dévorer vivant ?
- Vous seriez obligé de mendier, ha ha !
- Certes. Verriez-vous un inconvénient à ce que j’aille visiter votre épouse à son travail ?
- Beatrix ne travaille pas, elle participe ! Nuance. Mais oui, allez passer un moment avec elle, elle adore causer de sa passion !
- Pardonnez ce vocabulaire de l’ancienne économie... Je vous remercie.
- Et dites-lui de revenir ce soir avec une belle courge pour quinze personnes ! J’ai invité des amis à souper.
- Je n’y manquerai pas… Até logo.
Ce Luis Bigodo était vraiment peu enviable, à s’injecter ainsi du thé dans les veines. Mais quand la Greffe Noire menaçait la flore Brazilienne, peut-être même celle de la planète entière, toute aide était bonne à prendre. Une petite visite au Palais Natureza Alegre s’imposait. Cette fameuse cinquième épouse pouvait se révéler une alliée de poids.
Wictorius ferait le tour des horticulteurs hors de prix plus tard.
La suite lundi !
Formidables robots drôles dotés d'une intelligence artificielle, que l'on retrouve dans la série manga en dessin animé tiré de Ghost in the Shell.
Conversation au Kadhafi Bar
L’habitué sortit un miroir et son fer à friser de sa poche. Puis entreprit de donner une nouvelle forme bouclée à son imposante moustache couleur d‘épice, tout en discourant sur les nouveaux feuilletons rézo, notamment Sissi Dictatrice.
C’était bête, Wictorius ne se souvenait plus de son nom. Mais il y avait plus important.
- Magnifiques favoris !
- Je vous remercie ! Pour moi, il n’y a pas d’homme véritable sans moustache !
- Dites-moi, votre septième épouse ne s’occupe-t-elle pas du jardin d’hiver du Palais Natureza Alegre ?
- La cinquième. Elle est responsables des semences. Je dois dire que grâce à elle, nous mangeons ainsi d’étonnants légumes à la maison ! Un jardinet expérimental jouxte la serre aux tulipes et comme les domestiques refusent d’y goûter, elles les récupèrent…
- Comme vous le savez, je suis représentant en faune et flore d’agrément. La sort de la végétation me préoccupe ! A-t-elle entendu parler de phénomènes étranges en ce moment ?
Le Moustachu se mirait longuement, pas encore satisfait de ses favoris.
- Tout à fait ! Apparemment, c’est assez grave… Le Palais n’est pas encore touché, mais mon épouse craint le pire.
La serveuse robot apporta à Wictorius son café citron qu’il but avidement. Le moustachu rapprocha son fauteuil de celui de Wictorius, se mettant à parler bas.
- Elle me raconte des choses affreuses, incroyables, dégoûtantes… Moi qui pensait les plantes inoffensives, pas du tout ! Vous imaginez ça, un mouvement révolutionnaire feuillu, enraciné dans la terre de notre beau Brazil ? Je n’emmène plus les enfants au parc, on ne sait jamais…
Mais comment s’appelle-t-il déjà ? Résigné, Wictorius lança son implant mes contacts professionnels, mes amis. Oui, bien sûr. Luis Bigodo, polygame, au Kadhafi Bar chaque après-midi, obsédé de la moustache, ne boit que du thé. À priori sans intérêt.
La suite demain !