Wictorius au péage

Le périple jusqu’à l’impénétrable Amazonie, terre humide de contrastes, se poursuivait gentiment. Wictorius n’eut qu’un souci. Au troisième péage, le robot du péage refusa sa carte d’abonnement auto-estrada moderna, pourtant toujours valable.  

› veuillez payer en piécettes ou sinon je fais saisir votre véhicule qui d’ailleurs n’est pas réglementaire. 

- Je n’ai pas assez ! Beatrix ? 

- Attendez, je cherche dans mon sac. C’est que j’ai l’habitude de payer en brazols virtuels !

› veuillez vous presser. une cohorte de touristes congolais attend derrière vous. je ne veux pas d’émeute à mon péage. 

Wictorius s’énervait. À chaque mission, c’était pareil, il y avait toujours un robots borné qui ne comprenait pas l’urgence à sauver le Monde du Crime. 

- Voilà vos maudites pièces ! Ma carte est valable, vous devriez changer votre lecteur, il est défaillant !

› veuillez ne pas m’insulter. la barrière ne se lèvera pas plus vite. je signale votre véhicule à la Police Routière. bon voyage, charmants clients. 

Le temps pressait. Wictorius ne s’attarda pas à demander au duo Cataclismo dans la remorque d’exploser le péage, c‘était aussi inutile que bruyant. Et l’affreux robot en une micro seconde avait certainement déjà signalé la chapelle à six roues. Pourvu que la police routière ne leur cause pas de retard supplémentaire.  

Tandis que Beatrix s’était remise à son tricot, Wictorius ouvrit l’interphone. 

- Dolph et Sylvester, vous m’écoutez ? Nous arriverons ce soir à Fortazela. Je sollicite votre avis d’experts, devrions-nous continuer par la route, ou embarquer sur un bateau et remonter le fleuve par l’embouchure ? 

Après un silence, Sylvester répondit pour le duo de guerreiros. 

- Chef, le mieux serait de continuer en radeau volant ! Mieux vaut toujours surplomber l’Ennemi. De plus, un prédicateur descendant du ciel, voilà qui impressionnera l’autochtone ! L’Amazonien est très croyant, paraît-il. 

La suite demain !

Sur la route  

Miraculeusement, la chapelle à six roues accepta encore quelques bagages supplémentaires. 

Wictorius accrocha la remorque finie d’être gonflée et put reprendre la route côtière, Beatrix tricotant à ses côtés. 

- Cela me détend ! Je fais moi-même pulls et écharpes pour mes trois enfants. Avez-vous remarqué, agent Wictorius, comme ces deux musculeux évoquaient leur Dieu de la guerre Agurzil le Berbère ? Ce doivent être de grands croyants. Il est vrai que la fièvre religieuse peut soulever des montagnes !

- Un monte-charge ou une grue font mieux, me semble-t-il… 

Étonnée, Beatrix cessa d’agiter ses aiguilles. 

- Seriez-vous l’un de ces partisans du vilain athéisme ? 

- C’est-à-dire que chère Madame Bigodo, au cours de ma déjà longue et glorieuse carrière d’agent secret professionnel, j’ai vu les ravages provoquées par les restants du Monothéisme en folie, la démence précoce de mouvements sectaires les plus divers. Disons que je crois plus volontiers en la nouvelle économie qu‘en une divinité quelconque.  

- Vous êtes donc à la recherche d’un idéal ! Vous me rassurez. 

Soudain, l’interphone avec Dolph et Sylvester sonna. 

- Chef, on est à l’étroit dans la remorque gonflable…

- On est secoués !

- Tenez bon, guerreiros, arrêt casse-croûte à la prochaine aire de repos ! 

La nuit tombant, il fut décidé de rester dormir sur place, au milieu des caravanes marchandes. Aussitôt le frugale repas composé de pâté de lapin accompagné d’haricots mexicains et de maxi fruits achevé, le duo Cataclismo entreprit de bâtir un mini fortin en briques légères, surplombé d‘une mitraillette lourde. 

Wictorius et Beatrix, eux, restèrent dormir dans la chapelle, l’un dans le siège conducteur, l’une dans la chambre encombrée de caisses de grenades. Sous le ciel couvert, des villas volantes illuminées remontaient vers les Antilles, tandis que les bruyants ronflements de Dolph et Sylvester éloignaient les bêtes sauvages. 

La suite lundi !

La bière de l’amitié

Les ultimes négociations avant signature furent plus âpre que prévues.

Pressé par le temps, Wictorius capitula sur tout. Les deux commandos eurent droit à une semaine gratuite en Cité Hospitalière en cas de malheur et à conserver les munitions inutilisées, ainsi que tout objet de valeur trouvé sur le théâtre d’opération. 

- Au succès du duo Cataclismo ! 

Comme par magie surgit tout un assortiment de bières fortes. Beatrix goûta poliment celle que le généralissime lui tendit, prise d’une soudaine angoisse. Peut-être aurait-elle dû rester au jardin d’hiver ?  Mais il était trop tard pour reculer. 

Wictorius, lui, but avec plaisir la boisson de l’amitié.

- Dolph et Sylvester, j’ai promis à mes plantes Marjorie, Azhar et Barbarella d’opérer avec la plus extrême délicatesse. Alors pas d’excès de zèle !  

Les deux guerreiros finirent leur canette et rangèrent leur contrat signés dans leurs shorts.  

- Chef, la guerre, c’est d’abord pour nous une affaire de morale. 

- On peut vous appeler Chef ? 

- Si vous le souhaitez. Allez chercher, comment vous dîtes déjà, votre barda ! 

- Oui, chef ! Nous sommes prêts dans dix minutes. 

Sylvester fit le salut réglementaire et entraîna son camarade de combat Dolph en dehors du bureau. Le généralissime mit ensuite dehors l‘espion prétentieux et la grosse dame, prétextant une urgente réunion à propos du prochain bal au profit des commandos paraplégiques. 

- Nous allons être à l’étroit dans la chapelle, avec ces deux musculeux. Je tiens à mon intimité ! 

- N’ayez crainte, chère Dame Beatrix, ils voyageront dans la remorque gonflable, au moins jusqu’aux rives du fleuve. 

- Et ensuite ? 

Wictorius n’y avait pas vraiment encore réfléchi. Il lança son implant connaissance du commando, mode de vie et psychologie. 

- Ensuite, ils vivront cachés dans le confessionnal pour tirer je suppose sur tout ce qui bouge…

La suite demain !

Le duo Cataclismo 

Le généralissime du Bureau des gentils employeurs ne bougea pas de son fauteuil.

- Et pourquoi venez-vous arracher de braves gars à un repos bien mérité pour les plonger à nouveau dans le sang et la boue ? 

Wictorius sortit prestement sa carte d’agent secret professionnel. 

- C’est confidentiel…

Le généralissime partit d’un énorme éclat de rire, finit par ouvrir à coup de pied un placard en fer. 

- Je vois, la Grosse Citrouille tient à protéger son précieux personnel ! 

- Je n’ai nul besoin d’être protégé paramilitaire pantouflard, obscure gradé ! Je cherche un commando pour veiller sur la dame qui m’accompagne ! 

- Ne vous fâchez pas, l’espion ! Laissez-moi consulter mes fiches de résidents. Tous de braves combattants. Tiens, j’ai aussi deux costaudes iraniennes et un transsexuel spécialiste en explosifs… Quel terrain d’opération, atolls perdus, Corée Éternelle, forteresse syndicale inexpugnable, rébellion paysanne, Andes anarchisantes, orbite basse, orbite haute ? 

- En Amazonie. La vraie, pas celle pour touristes. Et je veux uniquement des intermittents. 

Le généralissime écrasa son cigare anti-cancer dans un cendrier, véritable morceau de blindage du siècle dernier arraché par un contre-missile sol-sol-air-sol-air. Le sourire avait disparu de sa face burinée par trop de sieste au soleil. 

- Alors il vous faut les meilleurs. Je ne vois que Dolph et Sylvester. 

Le généralissime s’empara d’un micro et aussitôt sa voix retentit dans tout le camp de villégiature. 

- On demande le duo Cataclismo ! Rappliquez avec votre barda, les gars ! 

Inquiète, Beatrix examina rapidement les photos d’identité des deux commandos.

- Vos musculeux sont-ils respectueux des conventions de New-Delhi sur la non-agression humaine envers la Nature ? 

Le généralissime sortit le contrat standard en cinq exemplaires, puis les tamponna furieusement. 

- On vit vraiment dans un monde décadent ! Impossible d’écraser une fleur sans se sentir coupable !  

La suite demain !

Adieu Rio !

Le mieux était de suivre la côte jusqu‘à Fortazela. 

Wictorius sortit de Rio par la rocade Nord, encombrée d’une cohorte de roulottes commerciales et de camions robots. Joie de l’existence, Angélica avait pensé à faire installer une cafetière sur le tableau de bord de la chapelle roulante ! À moins que l’ancien propriétaire prédicateur aimât lui aussi l’extatique breuvage. 

D’un coup, Wictorius vit la religion catholique sous de meilleurs auspices. Après tout, les italiens raffolaient de café et l’Italie était la patrie originelle des premiers chrétiens à églises, les plus récentes fouilles archéologiques l’avaient prouvé. 

- Très chère Beatrix, j’ai rempli tout un formularium, vous êtes officiellement experte de terrain, catégorie 8. N’ayez aucune inquiétude, avec moi, vous serez en sécurité ! 

- Je n’en doute pas. Votre nouvelle économie produit certes des légumes cubiques, mais les plantes recèlent encore bien de mystères auxquels vous n‘entendez rien. Vous aurez certainement besoin de mes lumières. 

- Je n’en doute pas… 

Wictorius dépassa un bus scolaire égaré, la tête ailleurs. Il lui fallait du renfort. Éventuellement, un commando Alpha Tango ne serait pas de trop pour l’accompagner. À une journée de route, se trouvait un camp de villégiature militaire. Parfois, l’homme d’armes aimait se détendre après un rude bataille. 

Wictorius appela la Grosse Citrouille sur son oreille.com, en villégiature sur son île flottante croisant au large de la Corne d’Or. 

- Suprême Coordinateur, je suis en route, avec une spécialiste de la flore !

- Tu m’en vois ravi ! J’attends que tu luttes de toutes tes forces contre ces chlorophates !

- Justement, j’aimerai recruter une assistance armée. L’Amazonie, je n’y suis jamais allé…

- Toujours des dépenses ! 

La grosse Citrouille rechigna un moment, puis céda. Cette mission lui tenait véritablement à cœur.

- Pas plus de deux commandos, alors ! Et des intermittents ! 

La suite demain !