Chlorophylle, mon amour

Devant une critique si défavorable de son voisin, qu’il connaissait sous le nom de Wictor Buffon, C. Wagner en oublia de l’inviter à déguster sa soupe aux croutons. 

- Vous n’avez pas aimé ? Vous pouvez me le dire… Ma vie de clone n’est qu’une longue suite de déception… Maudit milliardaire Rakkox qui m’a donné naissance ! 

Wictorius sortit de la monnaie, acheta au distributeur une bonbonne de bière uruguayenne. 

- Je ne suis certes qu’un modeste représentant en flore et faune d’agrément, je ne fais pas partie d’un Club d’Intellectuels. Les cotisations sont bien trop chères… Continuez donc à écrire, on sent comme un style ! Pourquoi ne feriez-vous pas plus optimiste ? 

Wictorius se surprit à regretter l’achat d’un implant littéraire si c’était pour être obligé de lire des inepties. Cependant, il gardait tout de même un certain respect pour C. Wagner. Avoir un clone célèbre pour voisin, c’était une chance dans la vie. 

Croyant à une publicité intempestive, Wictorius allait tenter d’éteindre son oreille.com, lorsqu’il se rendit compte de sa méprise. 

- Excusez-moi un instant, mon patron qui m’appelle ! Suprême Coordinateur, vous êtes encore dans l’Espace ? 

- Que faites-vous Wictorius ? Je n’ai pas reçu votre rapport préliminaire ! Vous vous croyez en vacances ? Votre secrétaire ne vous a pas informé de votre ordre de mission ? 

- C’est-à-dire ? 

- Vous deviez enquêter sur un important groupuscule, la Greffe Noire ! Wictorius, le pays compte sur vous ! 

- La Greffe Noire, mais bien sûr. J’ai cru qu’un stagiaire suffirait… 

- Eh bien, vous feriez mieux de vous inquiéter ! Ces chloropathes s’attaquent à la végétation en pratiquant des greffes sauvages ! On signale également des attaques en ville !

Paniqué, Wictorius courut vers sa pustule, oubliant C. Wagner. 

- Mes plantes vertes, Marjorie, Azhar et Barbarella ! 

La suite demain ! 

Toyota

Bien qu’il soit la vedette de feuilletons, de dessins animés, de romans d’aventure qui faisaient fureur, Wictorius n’avait pas trouvé comme beaucoup d’autres à se loger dignement, sinon accroché à la plus audacieuse tour kilométrique de Copacabana. 

Seules quelques grandes mégalopoles surpeuplées et cités commerciales surnageaient dans un océan vert, puisqu’il fallait laisser le Brazil retourner à la vie sauvage. La nouvelle économie tentait de réparer les sottises bitumées de l’ancienne. 

Tandis que Goldo, son majordome japonais, lui préparait un cocktail épicé, Wictorius se changeait dans la minuscule chambrette. La voix envoûtante d’Haly descendit du plafond. La belle intelligence artificielle rafistolée veillait toujours jalousement sur la pustule et son propriétaire. 

♥ tu es donc rentré de São Paulo beau mâle ! J’espère que tu vas enfin changer de secrétaire. Cette Angelica est encore venue me narguer en ton absence, sous prétexte d’arroser les plantes vertes ! Moi seule peut veiller sur toi. 

- Tu as beau être intelligente et artificielle, j’ai besoin d’une secrétaire !

♥ mais je sais lire, écrire et parcourir les rézos plus vite qu’elle ! 

- Tu ne sais pas encore marcher… Haly chérie, où es passé Toyota ?  

La fée du logis ne répondit qu’avec un retard coupable.  

♥ je n’ai pas pu le retenir. il est parti copuler aux étages supérieurs. veux-tu le suivre sur la vidéosurveillance de la tour ? 

- Non, bien sûr que non. Mon chat a droit à son intimité. Qu’est-ce que c’est ? 

Son cocktail dans une main, Wictorius ouvrit une enveloppe grand format 23 x 38. 

♥ un certain C. Wagner a déposé cela pour toi.  

- Le clone de Richard Wagner qui veut devenir écrivain ! Voyons voir ça ! 

Cher voisin. Comme promis, voici ma première nouvelle de Science-fiction, Fusillade quantique à Bógota. J’aimerai beaucoup avoir votre avis de lecteur inculte. 

La suite demain ! 

Implant Marquez

- Quelle littérature, plus précisément ? C’est que déjà l’implant Ecrivains de notre temps pèse lourd sur le cerveau commun. Si en plus vous prenez l’Intégral des vieux bouquins, je ne réponds plus de rien ! Il faudra voir à me signer une décharge, l’usage de trop de fiction est assimilable à la consommation de drogue de nos jours ! Je ne veux pas d’ennuis, je tiens une honnête boutique ! 

- Très chère dame, je dispose d’un cerveau amélioré… Voici mon certificat. 

D’un coup silencieuse, la Mère Woz, donna à vérifier le document officiel à son vendeur robot, tandis que son chihuahua montrait les dents.  

> Il dit vrai, Madame. 

- Mille excuses, mon grand ! À la Cidade o Nova Cabeça, nous tenons à la bonne santé de nos clients…

- Je comprends tout à fait. Précisément, auriez-vous quelque chose sur un certain Gabriel José de la Concordia García Márquez ?  

- Mais tout à fait ! Montrez-moi votre tête. Un port d’entrée multi flux et des interfaces de libre ; équipement de qualité, je vous félicite ! 

- C’est-à-dire que je travaille beaucoup de la tête. 

Wictorius n’eut guère à attendre. Le vendeur grimpa directement au bon rayon et en redescendit avec l’implant GMCADS1967, que la Mère Woz introduit délicatement derrière l’oreille.com de l‘agent secret. 

Aussitôt, Wictorius rayonna ! Il délaissa la biographie complète de l’écrivain colombien pour se concentrer sur son grand roman Cien años de Soledad qui lui apparut dans tout son réalisme magique. Instantanément, il suivit les aventures sur six générations de la famille Buendia du village imaginaire de Macondo ! Amour, guerre, dictature, exode, opulence et décadence, se succédaient sur vingt chapitres. Et voilà que la prophétie du gitan Melquíades s’accomplit dans une belle structure narrative cyclique temporelle ! 

Quel soulagement. Il n’aurait plus à lire l’interminable ouvrage. 

La suite lundi !

C'était mieux avant

Dans quelques jours, Wictorius serait pleinement opérationnel et pourrait reprendre sa lutte contre le Crime. En attendant, l’artisan lui installa une main provisoire. 

- Bougez les doigts pour voir… Parfait ! Vous pourrez mener une vie normale en attendant votre nouvelle prothèse. 

- Oh moi, la vie normale… Je ne vis que pour l’aventure ! Avez-vous des nouvelles de votre famille ? 

D’un coup, Senhor Estaban perdit de sa bonne humeur. Même une bonne vente ne pouvait lui faire oublier la tragédie mexicaine. 

- Ne m’en parlez pas ! J’ai essayé de faire venir mon épouse et mes enfants, réfugiés dans un village autogéré de la Sierra Madre remise à neuf. Mais impossible, impossible ! Traverser la région de Mexico est trop dangereux… Ces extrémistes du renouveau Aztèque continuent à pratiquer des sacrifices humains et personne ne fait rien ! Les occasions ne manquent pas, l’inauguration d’une Cité Commerciale, une mauvais récolte, la mort d’une célébrité des rézos ! Tout ça pour de maudits Dieux qui ne se montrent jamais ! Le retour aux origines, quel idiotie ! Ces españols n’étaient pas si terribles après tout.

- Asseyez-vous donc…

Wictorius tendit un tabouret à l’artisan brisé, au bord des larmes. 

- Vous n’avez pas essayé de faire venir vos proches par la mer ? 

- Je n’ai aucune confiance en ces contrebandiers, on dit qu’ils revendent les vierges aux Aztèques… Je vous prépare votre facture.

- Si vous pouviez me faire un paiement en treize mensualités…

- Mais bien sûr. Finissez donc le café. 

- Je pourrais ramener votre famille saine et sauve, mais ma hiérarchie verrait d’un mauvais œil une mission purement personnelle… Ou alors pendant mes vacances ! 

- C’est gentil, mais inutile. Je me suis remarié ici à Rio avec une jeune Colombienne qui vend des oreilles synthétiques de fort bonne qualité. 

La suite demain !

Wictorius fait ses achats

- Mais qui voilà, mon ami Wictorius, mon meilleur client, un homme de goût qui sait reconnaître le travail de qualité d’un véritable artisan biomécanique ! Prenez un fauteuil !

- Como vai Senhor Estaban ? 

- Muito bem ! Mais le commerce n’est pas florissant… Je me demande ce qu’ont les gens à vouloir garder leurs mains de singes… Je vais vous faire un café !

- Ce n’est pas de refus !

Confortablement installé, Wictorius parcourut du regard les rayonnages de la boutique Mano en la Mano. Des dizaines de mains artificielles parmi les plus performantes s’agitaient en silence pour démontrer leur grande souplesse d’usage. Près du grand miroir ovale, les mains pour femmes se faisaient plus élégantes, en matière soyeuse ou incrustées d’opale et de diamant. 

Au fond, on devinait de grosses mains purement utilitaires, aux usages parfois pénibles à deviner. Charitable, Senhor Estaban vendait aussi aux géants ouvriers victimes d’accident du travail. Ce qui expliquait la hauteur de plafond et la largeur des fauteuils de la boutique.

- Voici votre café ! J’y ai ajouté du sirop d’érable, à la nouvelle mode !  

- Obrigado ! Je voudrais changer ma main gauche. Elle est défaillante, elle grince, mon pouce s’agite tout seul la nuit.

- Faites voir…

L’artisan retira délicatement sa prothèse à Wictorius, qui put heureusement boire son excellent café de sa main droite restante. Son moignon se mit en mode coagulation de données bio-numériques et il ne ressentit nulle douleur. 

- L’explication est bien simple, cher client, l’obsolescence ! Avec vos activités, vous ne devez pas la ménager… Je peux réparer, cependant tenez-vous à votre main ? 

- Pas particulièrement…

- J’ai là d’excellente promotions sur des mains gauches toutes neuves !

Wictorius se plongea donc dans le catalogue de prothèses multifonctions, étonné. 

- Certaines font même ouvre-boîte ? 

La suite demain !