Repas frugal 

- À table ! 

Malgré leur grand désir de rester auprès de ces nouveaux êtres prodigieux, Beatrix et Wictorius rentrèrent dans la chapelle pour dîner. Servir la Science et la Justice le ventre vide ne rimait à rien.

Quelque peu déçu, Wictorius hésita à goûter le bloc posé dans son assiette.

- Vous ne nous aviez pas promis du poisson ? 

- C’est-à-dire, Chef, qu’il a malencontreusement brûlé… Mais ce sont d’excellentes rations de survie ! 

D’un geste digne d’un cuisinier neuf étoiles, Sylvester fit couler une sauce chaude sur chaque bloc. 

- Je me suis débrouillé pour faire un coulis de peau de banane !

Habitués, Dolph et Sylvester firent honneur au frugal mais nourrissant repas. Wictorius, lui chipota dans son assiette. Décidément, cette expédition promettait d’être rude. Il n’avait jamais vraiment aimé la banane, si rare sur le Cubo maritime où il avait passé son enfance. La banane restait pour lui le symbole de l’arrogance du continent sur les réprouvés de haute mer, un fruit terrestre haïssable. Seulement voilà, la banane était partout, il fallait bien en manger…

- J’espère que mes plantes Marjorie, Azhar et Barbarella vont bien !

- Vous ne vous inquiétez donc pas pour Ikki, votre fille adoptive ? 

- Mais bien sûr que si, Beatrix…  

- Je vous laisse la vaisselle, je retourne à mes arbres. 

Beatrix déploya son mini laboratoire d’analyse dans le confessionnal déjà bien encombré et commença l’étude des échantillons du matin. Elle les découpa en fines lamelles ou bien au contraire dans la longueur. Les propriétés de chaque texture végétale seraient ainsi évaluées. 

Commencées au premier jour, Beatrix poursuivit la diction de ses notes. Les nomades se portent remarquablement bien. Ils n’ont semble-t-il aucun mal à se nourrir. Mieux, personne ne semblent vraiment vouloir les arrêter, leur si lente avancée passe inaperçue ! 

La suite demain !

Encore un peu de Science

- Tenez, un carapas rouge ! Mais il y a plusieurs espèces venues de l’intérieur de l’Amazonie. Si seulement nous avions de quoi survoler la baie ! 

Wictorius se frotta les mains, content de pouvoir impressionner Beatrix par son professionnalisme. Cette mission entre recherche scientifique et lutte contre le Crime lui plaisait bien finalement. 

- Mais nous avons, nous avons ! Vous pensez bien que j’ai tout prévu ! Simplement, je tiens à ne pas me précipiter. Ayons l’air d’une embarcation religieuse tout à fait normale… Tenez, pendant que vous prélevez vos échantillons, je vais aller ostensiblement prier sur la plage arrière…

Les genoux presque dans l’eau trouble du plus long fleuve du Monde, Wictorius se montra le plus véridique des prédicateurs catholiques, hurlant ses prières dans les hauts parleurs de la chapelle amphibie désormais très près d‘un trio d‘arbres en marche ; prières tirées de son implant religions exotiques, les prières basiques.

- Dolph, faites-moi sonner ce clocher ! Je veux que le fleuve entier sache que Jesus Cristo est là ! 

- Oui, Chef… 

Au milieu de ce vacarme apostolique, Beatrix continua sa récolte, notant scrupuleusement sur son ordinateur étanche l’heure, la température de l’eau, le taux d’humidité de l’air, l’aspect et la taille approximative de chaque arbre rencontré. 

D’un coup, Wictorius fut à ses côtés, sa prière finie. 

- Je viens de penser à une chose, après avoir parcouru mon implant plantes d’intérieur & jardinage au balcon ! L’eau salée ne risque-t-elle pas faire du mal à ces arbres venus de la forêt ? 

- Mais c’est que vous devenez perspicace… Sûrement, la Greffe Noire a dû y songer… Il est même possible que les végétaux se repèrent à l’augmentation de la salinité de l’eau et le sens du courant pour savoir où aller ! Ce serait prodigieux, n’est-ce pas ? 

La suite demain !

Un peu de Science

Tandis que Dolph et Sylvester restaient dans la chapelle à poursuivre leur intéressante conversation de guerreiros, Wictorius et Beatrix à la proue discutaient, eux aussi, le nez levé vers les cimes des arbres luttant contre le courant. 

- C’est tout à fait incroyable ! Il suffit de les regarder un moment et leur mouvement devient perceptible ! 

- Cher espion, nous assistons là à un prodige de transformisme morphologique ! La Greffe Noire a réussi l’impossible ! 

- Mais comment peuvent-ils soulever leur propre poids ? 

- Les plantes possèdent déjà un imperceptible système moteur, ne serait-ce que pour déployer les pétales et organes sexuels de leur fleur, orienter leurs tiges ou branches vers la lumière et faire pénétrer leurs racines dans la terre. Sans doute a-t-il été renforcé avec du muscle animal pour atteindre une telle rapidité, une telle puissance…

- Je vois… Pourvu qu’ils ne se mettent pas à courir ! 

Wictorius avait pris sa décision. Il fallait en savoir plus sur ces phénomènes de foire avant de songer à affronter la secte dans sa base secrète. Le Suprême Coordinateur pourrait alors les éliminer sans nuire au reste de la végétation restée saine et docile. Le bombardement systématique n’était pas la solution.  

- Nous allons les suivre une bonne journée. Dolph, demi-tour ! Même vitesse que nos nomades. 

- Bien, Chef ! Mais gaffe au carburant, on va manquer !

- Chère Beatrix, pouvez-vous poursuivre vos investigations et me faire un premier rapport d’ici demain soir ? J’ai rempli tout un formularium avant notre départ de Rio, vous voilà officiellement experte de terrain, catégorie 8. Vous serez dédommagée.

Beatrix rit, tandis qu’avec un filet elle récoltait des feuilles mortes et une liane tombées des hauteurs.

- Que m’importe l’argent ? Pouvoir observer de telles merveilles végétales éprises de liberté vaut toutes les récompenses...  

La suite lundi !

Si près des racines

Malgré son grand courage et son goût du risque, Sylvester devenait de plus en plus anxieux. Il avala une dizaine de cachets de Relaxium 500 avec une bonne bière et se cala sur la banquette passagers du poste de pilotage à côté de son frère d‘armes. Wictorius et Senhora Beatrix restait eux à l’extérieur, fascinés par ces arbres devenus nomades. 

- Dolph, je te le dis, le Chef se fait mener par le bout du nez par cette femme, cette experte en plantes grasses ! 

- Mais Sylvester, nous aussi, nous sommes des experts en guérilla ! 

- Si tu vois les choses ainsi… Enfin, tout de même, tu seras d’accord avec moi, un chef doit rester un chef ! 

Dolph poursuivit la discussion sur l’usage raisonné de la hiérarchie dans les différents corps constitués composant tous pays dignes de ce nom, tout en se rapprochant avec prudence des arbres suspects. La chapelle amphibie s’éloignait ainsi insensiblement du gros de la circulation fluviale.

- Sylvester, tu ne sens pas une odeur de brûlé ? 

- Mes poissons ! 

Le guerreiro se précipita en catastrophe dans la cuisinette sauver ce qui pouvait l’être. Mais le repas du midi était fichu, brûlé, immangeable. Dépité, Sylvester jeta le tout par le hublot et ouvrit quatre rations qu’il agrémenta de fruits frais achetés à Belém. 

- Si on m’écoutait, tout serait plus simple ! Lance-flammes pour le terrorisme végétal et poissons frais délicatement cuisiné aux oranges pour les combattants de la Liberté… Mais personne n’écoute jamais un paramilitaire ! C’est comme ça, c’est la vie… 

Sylvester avala encore quelques cachets de Relaxium 500 et rejoignit Dolph, attentif cette fois à ne pas accrocher les premières racines mouvantes, surgissant du fleuve pour y replonger avec une lenteur effrayante.

- Je viens d‘inventer un dicton, Dolph. Poissons brûlés, espoir envolé…

La suite demain !

Vision d’horreur, suite

La vision était au-delà du dantesque, dépassant les pires films d’horreur écologique des mauvais cinérama. Tous à bord de la chapelle amphibie ressentaient l’importance de ce qu’ils contemplaient. 

Bouleversé, son cerveau amélioré au bord de l’implosion, Wictorius devait se rendre à l’évidence. La Greffe Noire, secte fanatique parmi les sectes fanatiques, avaient bel et bien réussi à libérer les arbres de leur enracinement venu du fond des âges, du temps où l’être humain n’était encore qu’un marsupial idiot. 

- Nous devrions nous rapprocher !

- Vous avez raison Beatrix. Dolph, rejoignez la rive la plus proche, au ralenti, le plus innocemment possible…

- Bien Chef ! Je fais clignoter la croix au-dessus du clocher ? 

- Si vous voulez…

L’incrédulité n’était plus de mise. Ces arbres d’une grande hauteur se mouvaient avec grâce, leurs racines telles d’élégantes jambes féminines, emportant avec eux nids d’oiseaux, singes et petits animaux étonnés d’un tel voyage. Son implant gestion de crise & fermeté du commandement activé, Wictorius parvint à raisonner Sylvester, voulant absolument user de son lance-flammes. 

- Nous ne sommes pas en guerre, nous sommes en mission secrète, je vous le rappelle ! 

- Et si ces arbres sanguinaires prennent notre embarcation dans leurs terribles racines, Chef ? Ils pourraient nous broyer en un instant ! 

- Certainement pas ! Ce sont de paisibles végétaux qui découvrent les joies de la migration ! À notre connaissance, ils ne se sont attaqués à aucune embarcation, aucun village. 

Beatrix ordonna aux deux guerreiros de ne pas toucher à une seule branche de ces individus, se réservant seule le droit de les examiner de plus près. Grommelant, Sylvester obtempéra et rangea son lance-flammes, mais sans le démonter pour autant. 

Au fond de lui, il le savait, le combat contre la barbarie et pour la civilisation ne faisait que commencer ! 

La suite demain !