Bonjour à toutes et tous.
Aujourd’hui courte chronique sur un recueil de J.H. Rosny Ainé, La mort de la Terre, paru chez Denoël en 1983. Il ne comprend que trois textes, dont à mon sens deux méritent tout à fait leur grande réputation.
Mais commençons par le premier texte, Les navigateurs de l’infini. Nous sommes ici en pleine exploration martienne par de premiers explorateurs terriens à bord de leur vaisseau Stellarium, découvrant avec exaltation la faune et la flore de Mars.
Et surtout les habitants intelligents, les Tripèdes, qui se rapprochent de l’Humanité par leur sensibilité. Mais les Tripèdes sont menacés par la désertification et une espèce endémique, les Zoomorphes, avec laquelle ils partagent la même capacité à émettre des ondes paralysantes… Rester trop longtemps sous leur influence signifie la mort pour les explorateurs humains.
Malgré cette menace d’extinction possible de l’intelligence sur Mars, le texte reste mélancoliquement optimiste. Grâce à leur technologie humaine, les plus dangereux Zoomorphes sont repoussés au-delà d’une frontière constituée d’émetteurs d’ondes hostiles aux énormes animaux.
La qualité du texte tient justement à sa mélancolie, que l’on retrouve aussi dans les fameux récits préhistoriques de Rosny Aîné.
Mélancolie des Tripèdes face à la déchéance de leur civilisation, qui n’a comme ultime horizon que de s’éteindre, du moins avant l’arrivée de ces visiteurs de la planète bleue, qui en devient à leurs yeux un lieu merveilleux où coule à flots l‘eau bienfaitrice, où l‘espèce humaine, elle, peut poursuivre son expansion.
Mélancolie également des rapports entre espèces si différentes. L’amour naîtra même entre la fille d’un chef Tripède et l’un des explorateur humain, amour impossible physiquement, amour qui ne peut être véritablement une amitié non plus.
Ce qui rend la lecture agréable, au-delà de l’imaginaire en œuvre dans la flore et la faune martienne et le vaisseau terrien, est le prudent déroulement de l’exploration. Pas de décisions brusques mais de la patience, notamment dans les premières relations avec les Tripèdes aux nombreux grands yeux.
Autre joie du texte, qui date tout de même de 1925, le vaisseau Stellarium fait en argine transparente et silencieux dispose de champ pseudo-gravitif pour se mouvoir, de protection contre le dangereux rayonnement du soleil, de vivres comprimés en taille, d’armures hermétiques pour l‘équipage, d’un laboratoire complet d’analyse physiques, chimiques et biologiques, n‘a guère à envier aux vaisseaux inventés plus récemment.
D’ailleurs pour bien nous mettre tout de suite dans l’ambiance, Rosny Aîné commence Les navigateurs de l’infini par la description du vaisseau qui ne dépareillerait guère un récit de Alastair Reynolds ou Iain M. Banks avec un léger changement de vocabulaire...
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Le second texte, Le cataclysme, m’a semblé moins intéressant, plus anecdotique. Il est d’ailleurs tiré d’un fait plus ou moins historique, le cataclysme climatique du plateau de Tornadres.
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Le troisième texte, La mort de la Terre, complète le recueil. Œuvre de choix, le récit raconte effectivement non seulement la désolation promise à la Terre dans le lointain futur, mais aussi la fin de l’Humanité.
La force du texte provient pour moi qu’il s’agit véritablement de la fin de l’Humanité et non d’une fin métaphorique ou apocalyptique qui supposerait ensuite un monde nouveau.
Petit à petit, à force d’avoir joué avec les forces de l’Atome, d’avoir trop exploité les ressources naturelles, les humains ont affaibli la Terre, qui suit alors un inexorable destin géologique, fait de bouleversements extrêmes.
L’eau disparaît petit à petit dans de grandes failles, les continents se désertifient. De nouveaux animaux apparaissent, les lents mais mortels ferromagnétaux.
Les dernières oasis humaines sont l’un après l’autre détruites par de violents tremblements de terre, jusqu’à cet terrible conclusion ; il ne reste plus qu’un homme sur terre, désespéré.
L‘espérance, la vigueur de l’Humanité tient tout au long du récit dans la recherche constante de poches d’eau, dans la préservation des réservoirs, toujours menacés par les tremblements de terre. De découverte miraculeuse de lac souterrain aux sombres calculs pour déterminer combien d’années tiendront les réserves, nous autres lecteurs sommes véritablement plongés au cœur de l’essentiel, l’eau.
Même si Rosny Aîné ne nous épargne rien des autres aspects de cette fin de l‘Humanité.
Ni la lente acceptation de son terrible sort par l’humanité réduite à quelques millions d’êtres, puis à quelques milliers, puis à quelques personnes.
Ni la gestion des populations des oasis par l’euthanasie volontaire.
À mon sens, le plus étonnant dans La mort de la Terre qui date de 1911 est l’absence totale d’échappatoire spatiale.
En effet, à aucun moment, malgré de moyens de voyage dans les airs par de perfectionnés planeurs, l‘Humanité ne songe à trouver refuges dans les étoiles, comme sonnée par les événements, voulant se battre corps à corps avec cette Terre qui leur échappe, qui après avoir été un Eden devient un Enfer.
Humanité prisonnière d’elle-même, sans autre rêve que de survivre.
Je dois dire que je n’ai ressenti ce manque qu’après la lecture du texte, certainement pas au cours de la lecture. Grâce à son grand talent, Rosny Aîné réussit à nous rendre complètement crédible une Humanité avancée technologiquement délaissant totalement la conquête spatiale, ne s’autorisant pas à quitter la Terre moribonde pour un ailleurs, Mars par exemple, ou plus proche l’orbite terrestre.
C’est l’un des aspects les plus insolites de ce texte, vraiment sidérant par ailleurs de réalisme.
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À mon sens, ce qui conserve à ces écrits leurs grande modernité, leur totale lisibilité est que malgré les apparences vite dissipées, il n’y a pas de héros. Les personnages certes luttent, voir connaissent quelque succès, mais les récits sont toujours basés sur la rationalité, le réalisme du comportement humain.
D’autre part, nous ne sommes pas dans le triomphe de la Science. Jamais. Elle n’est au mieux qu’un pis-aller, un espoir qui ne fait que reporter l’inéluctable, la Mort de l’individu et de l’espèce.
Enfin, Les navigateurs de l’infini et La mort de la Terre sont des petites novelas, des textes assez courts, où tout est dit, mais sans perdre de temps, sans narration inutile.
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Rosny l’Aîné pourrait être ainsi qualifié d’écrivain de l’inéluctable. La géologie est posée comme moteur de l’Histoire, et non les petits généraux de l’Espace ou la toute puissance de la Science, nouveau mythe, nouvelle magie fonctionnelle…
Chez lui, l’humain n’est rien face aux forces naturelles, ou si peu. C’est en cela que sa littérature, en plus de sa perspicacité narrative, est agréable à relire.
Gulzar
La fiche du livre et la bibliographie sur Noosphère :
http://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=-327079
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