Testament et spirituel

De retour à sa pustule sise à huit cent mètres au-dessus de Copacabana, Wictorius se changea et enfila ses pantoufles apportées par son majordome robot Goldo. 

- Haly chérie, imprime-moi mon formulaire testamentaire, je t’en prie. 

♥ mais beau mâle, tu es le plus grand des espions. rien ne peut t’arriver, sinon j’en mourrais.  

Malgré sa réticence, l’Intelligence Artificielle voulut bien imprimer. Affalé dans son canapé, Wictorius rédigea son testament comme avant chaque mission risquée. 

Moi, Wictorius Bragança, sain d’esprit et de corps améliorés, je donne la garde de mes plantes Marjorie, Azhar et Barbarella, ainsi que de mon chat Toyota, à ma secrétaire Angelica. Quant à mon Intelligence Artificielle Haly, qu’elle vive une seconde vie en résidence informatisée tout confort. Je lègue médailles et accessoires professionnels au Musée de l’Espionnage Postindustriel, qui pourra être renommé Museu Wictorius. 

Suivait quelques dispositions plus personnelles sur sa famille adoptive, ses centaines de maîtresses et la parution de ses mémoires. Haly envoya ensuite le document à un office notarial enfoui sous les Andes. Wictorius passa la soirée à boire café sur café en promettant inlassablement à ses plantes qu’il ne ferait aucun mal à la forêt amazonienne si sensible, que jamais il n’utiliserait de bombe incendiaire et autres atrocités. 

Le lendemain, Wictorius se rendit aux services de la Grosse Citrouille à Grande Fédor, immense dépression causée en 29 par un astéroïde puant ayant malencontreusement échappé à la surveillance de la Sainte Russie, pays à l’ancienne qui s’était donné comme mission divine de protéger la Terre des attaques célestes. 

La bibliothèque empestant la tenace odeur pestilentielle venue du fin fond de l‘Espace, Wictorius ne quitta pas son masque à gaz pour consulter nombre d’ouvrages de spiritualité de combat. Car traverser l’Amazonie nécessitait une force d’âme peu commune, d’après le documentaire qu’il avait visionné tard dans la nuit sur Rezo Exploração. 

La suite lundi ! 

Le Père Monsantard vous conseille

Wictorius ne put plus rien obtenir de ce Ronaldo Aylmer et interrompit le coûteux entretien. La Grosse Citrouille n’apprécierait guère de frais excessifs de documentation supplémentaires. Wictorius devait donc se débrouiller seul pour tenter d’en savoir plus sur la verdure en attendant de récupérer sa nouvelle main gauche vendredi. 

Reprenant le tramway, il quitta l’ancien aéroport et sa compétition de cerfs-volants pour retourner à sa tour. Là, il entra dans la luxueuse Boutique du Père Monsantard débordante de fleurs et légumes géants.

- Dites-moi mon brave, qu’avez-vous de plus rapide ? 

Le robot jardinier à l’accueil attira son client près d’une mare aux grenouilles chanteuses pavarotti ranuculi, vendues à la dizaine. 

› pourriez-vous préciser votre demande, Senhor ? 

- Et bien, je voudrais savoir comment répandre une plante au plus vite, sans investir dans un Jardinator. 

› Assurément, par des graines. tout autre méthode sera plus lente. mais je ne vous conseille pas nos sementes supersônico, surtout en appartement… d’ailleurs, il faut un permis de jardiner pour pouvoir en acheter… 

- Et comment passer son permis ? 

› c’est assez compliqué, Senhor… Il vous faudrait quitter Rio et vous rendre dans un centre d’entraînement agricole assermenté durant six mois. 

- Et vos graines, le vent peut les transporter loin ? 

› je ne comprends pas. nous vendons d’excellents engins à ensemencer du sol au plafond, justement en promotion. 

Wictorius n’insista pas et prit un paquet d’herbe à chats pour être poli. Certainement, la Greffe Noire avait pris ce nom pour tromper les honnêtes gens. Elle ne greffait rien. Au fin fond de l’Amazonie, une usine secrète à semences devait produire les graines tueuses. Restait à savoir par quel moyen la secte parvenait à diffuser ses plantes tueuses. 

Il restait désormais moins de trois jours à Wictorius pour préparer son expédition et faire son testament.

La suite demain ! 

Sur le terrain

- Les graines, quelles graines ? Je vous parle d’un véritable drame humain, je risque de perdre ma place d’expert en démographie paysanne si je ne retrouve pas rapidement de vastes populations cultivant la terre ! 

Les paysans, ce n’était pas son problème. Wictorius lança son implant raisonner comme Sherlock Holmes. Avant tout, il convenait de comprendre le mode opératoire de la Greffe Noire. 

- Dites-moi, si je voulais répandre à la surface de la Terre une nouvelle forme de plante, quel moyen devrais-je employer ? 

- Qu’en sais-je ? Il se fait tard, je dois rentrer à l’hospice.

- Je paie chaque minute d’entretien et de nombreuses tentatives de meurtres par de vindicatives plantes ont eu lieu ! J’exige une réponse !

- Mais c’est que je ne suis que démographe ! Vous feriez mieux d’aller questionner un revendeur du Père Monsantard ! 

Interloqué, Wictorius ne sut quoi répliquer. Il n’y avait même pas penser. Une immense boutique venait pourtant d’ouvrir au trentième étage de la tour O Céu de Copacabana qu’il habitait… Les graines du Père Monsantard étaient réputées pour leur vigueur, même s‘il fallait en racheter fréquemment. Une nouvelle collection était lancée à chaque printemps.  

- Mais enfin, lorsque vous enquêtez sur le terrain, vous avez bien constaté ce que vos paysans préféraient, la graine, le bouturage, le repiquage, le transfert de gène ou je ne sais quoi ! 

- Vous déraisonnez, agent Wictorius ! Un véritable expert professionnel ne va jamais sur le terrain, où ce ne sont que mensonge et duplicité. Seul le chiffre dit vrai !

- Je rêve, vous n’avez jamais quitté le Tibet ? 

Le grabataire officiant au GRUP se rengorgea, hurlant dans l’oreille.com de Wictorius. 

- Jamais de toute ma carrière je n’ai rencontré un seul paysan même endimanché et j’en suis fier ! 

La suite demain ! 

Le pourquoi du comment 

Wictorius dut patienter avant de pouvoir poser une nouvelle question. Le grabataire de niveau 7 s’agitait de plus en plus fort dans son fauteuil tout confort. 

- Nous régressons ! Vous ne pouvez pas imaginer, jeune homme vigoureux, à quel point j’ai adhérer de toute mon âme d’expert stagiaire à l’émergence de la nouvelle économie ! Nous étions si enthousiastes à l’époque, convaincus d’abattre le fléau bancaire et d’amener une ère nouvelle de paix et de prospérité équitable !

- Mais c’est le cas ! Nous autres braziliens défendons la nouvelle économie. Je suis d’ailleurs fier de parler à un ancien combattant !

D’un coup, le spécialiste en démographie paysanne s’affaissa dans son fauteuil qui se mit automatiquement en mode musique guillerette.

- La fierté n’est plus de mise… Comment avons-nous pu en arriver là ? La paysannerie est plus qu’en danger, elle doit être classée parmi les espèces à protéger d’urgence comme l’hippopotame nain de Côte-d’Ivoire !

- Un paysan n’est pas un animal, tout de même…

- Ridicule problème juridique ! Abandonner l’habitat villageois et semi urbain pour vivre en Cités partait sans doute d’une doctrine salvatrice pour sauver la Nature. Mais les productives tours agricoles, les jardinets privatifs et collectifs, le snug nourriture universelle et autres aliments recomposés ont précipité les paysans dans le néant !

- Le bœuf artificiel Carne Snugita est pourtant excellent !

- Nous fûmes dans l’erreur… Je me flagellerais volontiers ! 

En larmes, le grabataire demanda à son fauteuil de lui injecter une dose de cocaïne vitaminée. La vieillesse était un naufrage, même pour un expert du GRUP. 

Soupirant, wictorius regarda un cerf-volant s’écraser sur la piste sous les cris de déception de la foule. L’engin en forme d’autobus spatial devait être bien trop lourd. 

- Dites-moi le vétéran, si on en revenait aux petites graines ? 

La suite demain !